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Compte rendu

Rencontres franco-néerlandaises à Paris : lisons-nous les uns les autres !

juillet 2015

[4-5 juin 2015]

Des éditeurs néerlandais, emmenés par Bart Hofstede, Conseiller culturel à l’ambassade de France aux Pays-Bas, et éditeurs français se sont réunis lors de deux journées organisées conjointement avec le BIEF, au Centre national du livre : pour faire dialoguer leur production respective...


Pays-Bas invités au Festival de l’histoire de l’art de Fontainebleau, conférence pour la traduction à l’Atelier néerlandais, rencontre littéraire entre l’écrivain Frank Westerman et Laurent Binet à la Maison de la poésie… C’est à l’issue d’une semaine d’échanges plus que dense – mais qui s’en plaindrait ? – que des éditeurs néerlandais, emmenés par Bart Hofstede, Conseiller culturel à l’ambassade de France aux Pays-Bas, se sont réunis avec des professionnels français, lors de deux journées organisées conjointement avec le BIEF.

 

Il s’agissait de rien de moins que de redessiner le paysage de la littérature néerlandaise en France, et l’inverse. Une tâche nullement aisée, on verra plus loin pourquoi, à laquelle Bart Hofstede s’est attelé avec une conviction profonde. Et c’est donc dans un climat de parfaite attention que se sont déroulés au CNL les débats de la première journée, modérés par Margot Dijkgraaf, chargée des rencontres littéraires à l’ambassade des Pays-Bas, Jean-Guy Boin, directeur général du BIEF, et Bart Hofstede. Le lendemain était consacré à des rendez-vous en B. to B. entre éditeurs des deux pays, qui ont eu lieu à l’Atelier néerlandais.

 

Lutter contre la "méconnaissance" réciproque

Selon Daniel Martin, critique littéraire à La Montagne, ce sont les clichés sur telle ou telle littérature étrangère qui empêchent d’en voir le renouvellement. Nombrilistes les auteurs français ? Non !, dit-il, et de donner de multiples contre-exemples, dont nous citerons ici Annie Ernaux ou Philippe Forest qui atteignent, à partir du récit d’une histoire personnelle, une portée universelle ; Patrick Deville et ses ouvrages qui transportent dans le monde de la décolonisation ; et tous les jeunes auteurs défiant les genres, comme Julia Deck, Lola Lafon, Loïc Merle, Aurélien Bellanger, et bien d’autres encore…

 

Maarten Asscher, écrivain et directeur de la librairie Atheneum, n’a pas décrit une situation très différente dans sa présentation du roman néerlandais, à l’intérieur duquel il repère les "enracinés", qui portent témoignage d’une origine régionale, historique ou religieuse (Gerbrand Bakker), les cosmopolites, qui, "par la thématique, la géographie et parfois même aussi le style, pénètrent le vaste monde" (Cees Noteboom, Adriaan van Dis), et les "insaisissables", "pour qui chaque roman constitue un nouveau laboratoire pour la langue et l’imaginaire" (Esther Gerritsen, Tommy Wieringa). La méconnaissance du lectorat est aussi ici soulignée : en l’absence de figures internationalement reconnues, "les auteurs néerlandais d’aujourd’hui sont dépositaires d’un héritage culturel national invisible pour l’étranger".

 

C’est d’un autre constat qu’est parti Wouter van Gils (éditions Boom – philosophie, histoire, psychologie, économie…) : la prédominance de l’anglais dans le secteur des sciences humaines, comme langue d’enseignement et langue de circulation pour les universitaires. Directeur de collection dans une maison qui traduit des penseurs français (Michel Foucault, Marcel Gaucher, Catherine Malabou), il a attiré l’attention sur le recul du français dans le domaine des livres académiques – malgré le soutien de la Maison Descartes ou de la Fondation des Lettres néerlandaises.

 

Recul aussi des médias dans la place accordée à la non-fiction, sauf dans les revues spécialisées, et ce sont alors les médias sociaux qui prennent le relais avec, par exemple, des opérations ponctuelles sur Facebook autour de la présentation d’un ouvrage (un billet, un livre).

Si, globalement, la vente des livres numériques aux Pays-Bas représente encore une part peu importante, la demande est bien là pour des services en ligne, comme la consultation d’extraits.

 

Wouter van Gils a ainsi tenu les professionnels français à jour des dernières tendances du marché des ouvrages de SHS aux Pays-Bas. Josette Vial, directrice de la librairie Compagnie, qui lui succédait à la tribune, avait la mission de présenter les principaux mouvements dans l’édition française actuelle de SHS. L’héritage des grands penseurs et la transdisciplinarité ont été les fils conducteurs d’un catalogue raisonné et qualitatif où se sont croisés, parmi de nombreuses autres références, l’analyste d’images Didi-Huberman, la spécialiste des rapports entre philo et neurosciences Catherine Malabou, l’anthropologue Philippe Descola et Ivan Jablanka, pour qui "l’histoire est une littérature contemporaine", le prix Nobel d’économie Jean Tirole… toute une communauté à l’origine d’une grande vitalité éditoriale.

 

La vitalité et la diversité, c’est aussi ce qui caractérise le secteur de la jeunesse dans les deux pays. Cette fois-ci, c’est une journaliste (NRC & De Groene), Mirjam Noorduijn, qui a présenté les tendances dans ce marché aux Pays-Bas, sur les dix dernières années. Pour succéder aux grands auteurs pour la jeunesse d’après-guerre, là encore de nombreux noms ont été cités, retenons dans ce texte les trois lauréats récents du prestigieux Theo Thijssen-prijs : Ted van Lieshout, Sjoerd Kuijper et Martha Heesen, ainsi que la nouvelle génération avec des auteurs comme Marco Kunst, Ellen van Velzen, Bette Westera, qui partagent leur talent entre la fantasy, les contes et la poésie. Les ouvrages de non-fiction, comme par exemple les livres d’art originaux, sont de plus en plus populaires aux Pays-Bas, souligne Mirjam Noorduijn.

 

Quoi de commun à tous ces livres ? La qualité du design et de la fabrication, une exigence sur laquelle Sophie Giraud, directrice de la maison Hélium, pouvait facilement enchaîner. Son expérience d’éditrice jeunesse – surtout dans le livre d’activités – a consisté souvent à faire se superposer le mieux possible la forme et le fond, jusqu’à produire des livres objets. Parfois proche d’une activité artisanale, l’édition jeunesse lui semble aussi le lieu d’une grande liberté créatrice, y compris pour de petites maisons. "Les éditeurs néerlandais adorent l’illustration française, mais elle est parfois éloignée de la culture des Pays-Bas."

 

Combats en commun

Comment accompagner tous ces écrivains talentueux, ces éditeurs passionnés, ce besoin de développer les échanges ? C’est le rôle des institutions, avec dans les deux pays une politique forte de soutien du livre. Gijs Schunselaar, qui représentait la CPNB (Collective Propaganda van het Nederlandse Boek), organisme de promotion des livres aux Pays-Bas, a insisté sur la promotion associée de la lecture et de la vente à travers l’exemple de la Semaine du Livre (Book Week), une véritable institution, en place depuis les années 1930 où, pendant une semaine, les lecteurs repartent avec un livre gratuit sous le bras si leurs achats dépassent un certain seuil.

Apporter le livre vers le public est aussi une des missions principales du Centre national du livre. Tout en rappelant l’importance de tous les dispositifs de soutien qui portent sur l’ensemble de la chaîne du livre – et notamment les aides à la traduction – et du dialogue permanent avec les professionnels, Vincent Monadé, son président, a clôturé la journée par le même constat : "L’enjeu c’est le lecteur."

Un combat en commun donc à ces deux pays fondateurs du projet européen, qui en ont d’autres, comme celui sur la TVA réduite sur le livre numérique, ou celui qui était au centre de cette journée : rendre accessibles les auteurs en traduction.

 

Lisons-nous les uns les autres, tel a été le message de cette journée, relayé par des intervenants qui ont rendu palpable pour l’auditoire la richesse de la production des deux pays, se révélant dans cet exercice, aux côtés des institutions, les médiateurs indispensables des auteurs, y compris dans leur subjectivité.

Le message devrait avoir été entendu.


Catherine Fel

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