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L’édition brésilienne : une réalité contrastée

mars 2015

Après l’instabilité politique et économique des périodes précédentes, deux décennies de solide croissance économique et de développement social au Brésil ont eu un impact sérieux sur la professionnalisation et l’essor du secteur éditorial, aidées en cela par une politique publique active de soutien au livre et à la lecture...

Une synthèse de l'étude publiée par le BIEF en 2013.


Après l’instabilité politique et économique des périodes précédentes, deux décennies de solide croissance économique et de développement social au Brésil ont eu un impact sérieux sur la professionnalisation et l’essor du secteur éditorial, aidées en cela par une politique publique active de soutien au livre et à la lecture.

C’est aussi à cette époque que les relations avec les éditeurs étrangers et les agents commencent à se développer, en rapport avec la place grandissante du Brésil sur la scène éditoriale internationale.

 

Selon les chiffres du SNEL (Syndicat national des éditeurs de livres)*, l’édition brésilienne a généré en 2013 un chiffre d’affaires de 5,35 milliards de reais, soit 1,87 milliard d’euros**. Côté lectorat, la démographie brésilienne est un réservoir de croissance : 204,4 millions d’habitants en 2013, dont plus de la moitié ont moins de 30 ans. Et la classe moyenne a doublé en l’espace de vingt ans.

Avec de tels indicateurs, le Brésil apparaît comme le nouvel eldorado de l’édition mondiale. Pourtant, si l’édition brésilienne s’est réellement diversifiée ces dernières années, 27,5% du chiffre d’affaires est réalisé grâce aux achats gouvernementaux pour les bibliothèques et les écoles, le réseau des librairies est encore très insuffisant et fragilisé par l’absence de prix fixe et le marché semble tiré exclusivement par les best-sellers : autant de signes d’une réalité plus contrastée qu’il n’y paraît.

 

Un marché de plus en plus concentré et internationalisé

Aujourd’hui, environ 500 maisons d’édition composent le paysage éditorial brésilien – pour la plupart de petites et moyennes maisons. Les plus grandes sont situées à Rio de Janeiro, São Paulo, Porto Alegre, Curitiba et Belo Horizonte. En l’absence de chiffres émanant des maisons elles-mêmes, on peut se référer au site internet brésilien www.publishnews.com.br, qui propose un classement des maisons d’édition en fonction de leurs titres présents dans la liste des meilleures ventes de l’année.

 

Les éditeurs brésiliens ont une présence importante sur la scène mondiale. Deux groupes scolaires brésiliens font partie du

classement Livres Hebdo 2014 des plus grands groupes d’édition du monde : Abril educação et Saraiva.

Les grandes maisons d’édition de trade ont connu un important mouvement de concentration ces dernières années avec le rachat de petites maisons brésiliennes.

Durant les dernières décennies, l’édition brésilienne n’a pas échappé à l’appétit des grands groupes internationaux, attirés par les profits de l’édition scolaire et de jeunesse. Entre autres, les transactions les plus importantes ont été réalisées par les groupes espagnols (Santillana, Planeta, groupe SM) et britanniques (Penguin et Pearson). La France est présente au Brésil au niveau de la distribution avec une chaîne de 11 magasins Fnac.

 

En ce qui concerne l’organisation de la profession, la Chambre brésilienne du livre (CBL), située à São Paulo, regroupe les éditeurs, les libraires et les distributeurs. Le SNEL, basé à Rio, est le Syndicat national brésilien des éditeurs de livres. Enfin la LIBRE, un réseau coopératif regroupant une centaine d’éditeurs indépendants, a pour but la promotion de la bibliodiversité.

 

Au sein du ministère de la Culture brésilien, c’est la Fondation Bibliothèque Nationale (la FBN) qui a la responsabilité de mettre en place la politique du livre au Brésil, tant au niveau national qu’en dehors de ses frontières.

 

Selon une étude publiée par l’Institut pour le Livre, en 2011 le nombre de lecteurs au Brésil se situait à 88,2 millions : 50% de la population, parmi lesquels 48% déclarant avoir lu au moins un livre dans l’année étaient des élèves et des étudiants en cours de scolarité. Le pourcentage de personnes qui achètent des livres reste restreint, le livre n’est pas toujours considéré comme un bien prioritaire par la classe moyenne émergente.

 

La production éditoriale

Elle est en constante croissance ces dernières années. De 57 473 titres publiés en 2012, le Brésil est passé à une production éditoriale de 62 235 titres en 2013, dont 21 085 nouveautés. 5 862 titres sont des traductions, un faible pourcentage à relativiser puisque les chiffres de production incluent le scolaire. Le nombre d’exemplaires imprimés était de 467 millions en 2013.

Le tirage moyen est d’environ 7 500 exemplaires par titre, tous genres confondus – en réalité de 3 000 exemplaires pour la majorité des ouvrages de trade, une tendance à la baisse sur les dix dernières années.

Le format habituel est celui du livre broché, certaines maisons commencent tout juste à investir le poche.

 

En dehors du scolaire, de la jeunesse et de la religion, secteurs toujours prospères, de nouvelles tendances se confirment

L’une des caractéristiques de l’industrie éditoriale brésilienne est l’importance du marché scolaire, qui représente un tiers du chiffre d’affaires 2013 du secteur. Il est vrai que le programme d’achat d’ouvrages scolaires défini par le gouvernement fédéral est l’un des plus importants au monde. Autre particularité brésilienne : les livres religieux occupent 13% de parts de marché, ce qui est considérable pour ce segment.

Le secteur de l’édition généraliste (trade), incluant la jeunesse, représente 40% du marché en termes de titres publiés, 27% en nombre d’exemplaires produits et 27% en chiffre d’affaires.

La bonne santé du secteur éditorial se traduit par une floraison de nouvelles marques au sein des grandes maisons d’édition, afin de répondre à l’augmentation du lectorat (principalement celui de la classe moyenne).

À titre  d’exemples : Companhia  das  Letras a créé Seguinte et Boa Companhia, pour un public d’enfants et d’adolescents ; la maison Publifolha – détenue par le groupe de presse qui publie le plus grand quotidien du pays – vient de lancer sa marque de non-fiction Três Estrelas, qui publie des documents d’actualité et des biographies.

 

Dans le secteur de la jeunesse, comme dans le scolaire, la puissance publique (État fédéral, États fédérés et municipalités) est le principal client de nombre d’éditeurs.

Les principaux éditeurs de livres de jeunesse sont les éditeurs scolaires, qui s’appuient sur leurs réseaux de professeurs et d’écoles. Viennent ensuite tous les grands éditeurs généralistes qui ont ouvert des départements jeunesse ou des éditeurs spécialisés en jeunesse, parmi lesquels Melhoramentos et la maison Brinque Book.

Les attentes dans ce domaine évoluent vers une conception moins utilitaire de la lecture, avec le succès des livres-jouets, des pop-up, pour les petits, et le succès des Harry Potter ou de la saga des Vampires de Stephenie Meyer, auprès des ados.

Les achats gouvernementaux portent majoritairement sur des titres d’auteurs brésiliens, mais pas exclusivement.

En ce qui concerne la bande dessinée, il est intéressant de noter que les grandes maisons brésiliennes ont toutes lancé récemment une collection ou un label de graphic novel.

 

Même si, à première vue, littérature érotique et livres religieux semblent diffiilement compatibles, c’est pourtant une équation qui s’avère réalisable au Brésil : s’ils se sont laissés tenter par la vague du porno soft lancée par E. L. James, les lecteurs brésiliens sont encore plus fans de livres religieux. Le Brésil est, rappelons-le, la première nation catholique du monde avec près de 123 millions de croyants, et elle enregistre une forte croissance des églises évangélistes et pentecôtistes.

Le secteur du livre religieux représente 13% du marché en termes de titres publiés et 11,7% en nombre d’exemplaires produits. Le tirage moyen est de 10 847 exemplaires, des chiffres légèrement en baisse.

Dans le choix des lecteurs brésiliens, la Bible et les livres religieux arrivent ex æquo avec la littérature. Souvent présents dans la liste des best-sellers, les livres religieux sont parfois de véritables phénomènes éditoriaux, comme Ágape, du père Marcelo Rossi, publié par la maison d’édition Globo Livros, qui s’est vendu à plus de 7 millions d’exemplaires, et est maintenant décliné en version pour enfants ou Nada a perder (Rien à perdre), autobiographie de l’évêque Edir Macedo, directeur de l’Église universelle du royaume de Dieu, mouvement néopentecôtiste, paru chez Planeta do Brasil.

 

Le secteur de la littérature young adult et la fiction commerciale destinée à un public féminin sont deux grandes tendances porteuses de l’édition brésilienne (chez Novo Conceito et Intrinseca), tout comme les livres de développement personnel (self help), qui peuvent afficher des tirages exceptionnels.

 

De bons scores pour les éditions universitaire et professionnelle

Le secteur du STM représente 26% du marché en termes de titres publiés, 9% en nombre d’exemplaires produits et 26% du chiffre d’affaires. L’un des leaders de ce marché au Brésil est le groupe GEN (Grupo Editorial Nacional), une plateforme éditoriale qui regroupe neuf acteurs importants, publiant des titres dans les domaines médicaux et vétérinaires, de la nutrition, du nursing, des sciences et du droit. La maison d’édition Saraiva est leader dans le secteur de l’édition juridique. Le groupe A détient, lui, plusieurs marques éditoriales dans les domaines des sciences de la vie, des sciences exactes et appliquées et des sciences  humaines.

Parmi les presses universitaires les plus dynamiques, on peut citer l’Edusp, l’éditeur de l’université de São Paulo, l’Unesp, éditeur de l’université de l’État de São Paulo, l’UFRJ Editora qui dépend de l’université fédérale de Rio de Janeiro, etc. Elles jouent un rôle fondamental de diffusion de la recherche nationale, mais aussi d’accès aux auteurs étrangers, notamment dans le domaine des sciences humaines et sociales.

 

Les différents marchés

En 2013, le chiffre d’affaires global de l’édition brésilienne s’élevait à 5,35 milliards de reais, soit 1,87 milliard d’euros, une augmentation de 7,5% entre 2012 et 2013, mais une croissance réelle de 1,61 compte tenu du taux d’inflation de 5,91% en 2013.

Entre 2012 et 2013, les ventes en volume ont augmenté de 4,13% sur le marché privé et de 20% sur le marché public, pour atteindre un total de 479,9 millions d’exemplaires vendus. Le livre imprimé tout comme le livre numérique sont exemptés de TVA. Sujet de nombreuses discussions au sein de la profession, il n’y a pas de législation concernant la fixation du prix du livre, qui est non réglementé au Brésil.

Comparativement au revenu mensuel moyen, le livre reste un produit cher.

 

Une difficile estimation du marché numérique

En 2013, les estimations de la Chambre brésilienne du livre donnent un chiffre d’affaires de l’édition numérique de l’ordre de 12,6 millions de reais (environ 4,4 millions d’euros), soit 0,02% du marché. Plus de 26 000 ouvrages ont été publiés en version numérique, dont la majorité correspond à des manuels scolaires et à des titres de trade. Toutes les grandes maisons d’édition qui dominent le marché proposent de façon quasi automatique leurs nouveautés au format numérique et incluent systématiquement les droits numériques dans leurs contrats. Elles ont également une politique active de numérisation de leur fonds.

 

Fin 2012, on estimait qu’environ un million de tablettes et liseuses étaient utilisées au Brésil et que ce nombre devait passer à 9 millions d’ici cinq ans.

La librairie Cultura a lancé sa librairie virtuelle en mars 2010, suivie par la librairie Saraiva (la plus grande chaîne de librairies du pays), puis Abril, l’un des plus grands groupes de médias du pays, qui a lancé, en mars 2012, IBA, sa plateforme de vente de produits numériques. Les grandes chaînes de librairies du pays proposent toutes, désormais, des livres numériques : Curitiba, Leitura, Fnac, Livraria da Travessa, la Selva.

 

Les  particularités de la distribution brésilienne

En 2013, 70% des exemplaires vendus en dehors des programmes gouvernementaux ont été commercialisés par le canal traditionnel des librairies, des librairies en ligne ou des distributeurs, qui desservent en général la province, un rôle déterminant à l’échelle d’un pays gigantesque comme le Brésil. L’importance du secteur religieux dans la production éditoriale se traduit par un taux important de vente dans les églises et les temples (3% du total des exemplaires vendus dans le pays).

 

Il n’y a pas de grands groupes de distribution au Brésil. Les grands éditeurs ont leur propre réseau de distribution (en général, un centre de distribution dans chaque État). Il existe à São Paulo plusieurs distributeurs de taille moyenne qui travaillent à l’échelle nationale. Il y a également plusieurs distributeurs régionaux dans les principaux États du pays.

Selon une étude publiée par l’Association nationale des librairies, le Brésil compte 3 481 librairies, un chiffre faible pour un pays de 204 millions d’habitants.

Leur répartition sur le territoire est déséquilibrée : 60% d’entre elles sont implantées dans la région du Sudeste.

 

Les grandes chaînes de librairies dominent le marché brésilien du livre. En 2012, les principales sont les suivantes : Saraiva, Laselva, Leitura, Curitibia, Cultura, Fnac et Travessa. Les remises qui sont accordées aux grandes chaînes de librairies sont de l’ordre de 50 à 55%, tandis qu’elles sont de 40 à 50% pour les chaînes plus petites ou les libraires indépendants.

 

La part des ventes en ligne dans les ventes totales est en pleine croissance ces dernières années, ce qui constitue aussi une concurrence importante pour les librairies indépendantes. Hormis B2WSubmarino et Gato Sabido, toutes les librairies en ligne du pays sont liées à des chaînes de librairies physiques. Depuis août 2014, Amazon s’est lancé dans la vente de livres physiques,renforçant sa présence dans le plus grand pays d’Amérique latine.

 

L’immensité du pays et le manque d’infrastructures représentent un défi majeur pour l’édition brésilienne. Pour atteindre leurs lecteurs, les canaux de distribution alternatifs représentent donc un enjeu de plus en plus crucial pour les éditeurs : la vente en porte à porte (9% des livres vendus en 2013), les ventes directes lors des foires du livre, les ventes en kiosques (35 000 répartis sur l’ensemble du territoire), les hypermarchés.

 

Les difficultés conjoncturelles et structurelles du secteur de l’édition au Brésil n’entravent pas une production éditoriale dynamique, d’ailleurs plusieurs fois mise à l’honneur ces dernières années : en 2013 à la Foire de Francfort, en 2014 à celle de Bologne. En 2015, le Brésil est le pays invité d’honneur du Salon du livre de Paris. Ce sera l’occasion d’accueillir une belle délégation d’éditeurs brésiliens (une vingtaine) de tous les domaines. Les journées professionnelles du BIEF, organisées les deux jours précédant le salon (17 et 18 mars), permettront d’approfondir les liens qui existent déjà entre l’édition française et l’édition brésilienne.

 

Les 10 premières maisons d’édition en 2014 (hors scolaire)

Classement par nombre de titres présents dans la liste des best-sellers de 2014

  • Sextante (Sextante, Arqueiro, Primeira Pessoa)
  • Record (Record, Galera Record, BestSeller, Verus, Bertrand Brasil, BestBolso, Paz e Terra, Civilização Brasileira)
  • Companhia das letras (Companhia das Letras, Paralela, Seguinte, Portfolio-Penguin, Panelinha, Penguin)
  • Intrínseca
  • LeYa (LeYa, Casa da palavra/LeYa, Lua de Papel)
  • Santillana (Salamandra, Suma de Letras, Objetiva, Fontanar, Alfaguara)
  • Novo Conceito (Novo Conceito, #irado1)
  • Ediouro (Agir, Thomas Nelson Brasil, Nova Fronteira, Ediouro)
  • Gente (Gente, Única)
  • Globo (Globo Livros, Principium, Globo Estilo)

 

Sites utiles :

  • Actualités sur l’édition brésilienne : publishnews brazil.com
  • CBL, Chambre brésilienne du livre : www.cbl.org.br
  • SNEL, Syndicat national des éditeurs du livre : www.snel.org.br
  • LIBRE, Ligue brésilienne de l’édition : www.libre.org.br

 

* L'ensemble des données statistiques figurant dans cet article provient de la brochure "Production et ventes dans le secteur éditorial brésilien", publiée par le SNEL.

** Cours annuel moyen du réal brésilien en 2013 : 1 € = 2,86 R$ (source Banque de France).


Synthèse réalisée d’après l’étude de Karen politis sur l’édition au Brésil, parue au BIEF en janvier 2013

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