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Compte rendu

3e Sommet du livre à la Bibliothèque nationale de France. Littérature étrangère, exil et traduction

décembre 2014

[13 octobre 2014]

C’est autour de ces trois thèmes qu’était construite la première partie de la journée du Sommet du livre initiée par la bibliothèque du Congrès de Washington. La 3e édition de ces rencontres se déroulait à Paris le 13 octobre dernier, dans les murs de la BnF, qui l’organisait en partenariat avec le Centre national du livre.

C’est autour de ces trois thèmes et de leur éventuelle articulation qu’était construite la première partie de la journée du Sommet du livre initiée par la bibliothèque du Congrès de Washington, et dont l’objectif est de mettre en débat la place et le rôle du livre dans le monde, à une époque où son devenir est en question.
La 3e édition se déroulait à Paris le 13 octobre dernier, dans les murs de la Bibliothèque nationale de France, qui l’organisait en partenariat avec le Centre national du livre. Le Sommet s’était tenu préalablement à Singapour et se tiendra, en 2015, au Cap.
 

Des sauts d’un continent à un autre, ou de façon plus proche d’un pays à un autre, c’est aussi ce que permet la traduction.
Lors de cette rencontre, l’acte de traduire et l’acte de publier des littératures étrangères, dans le sillage du talent propre à tel ou tel auteur, sont bien apparus "fondateurs", en ce qu’ils permettent de "pénétrer dans une pensée structurée différemment de la nôtre", pour reprendre les termes introductifs de Bruno Racine, président de la BnF.


Thème porteur dans le contexte de la mondialisation de la littérature, la traduction fut traitée ici du point de vue de ses enjeux culturel et économique, mais aussi des implications des intervenants pour lesquels littérature, exil et traduction étaient parfois une expérience des plus intenses, qu’ils ont su faire partager à l’auditoire.

 

Le traducteur, l’étranger, l’écrivain : trois figures du passage
Ainsi, dans sa conférence inaugurale, Julia Kristeva, célèbre essayiste, romancière et psychanalyste française d’origine bulgare, a interrogé sa propre trajectoire pour rapprocher trois figures du passage. Aller et retour entre deux langues pour le traducteur, dont "l’art spécifique" est de surcroît un "nouvel antidote à la banalisation des esprits". Passage d’une langue à l’autre pour l’étranger, qui finira par en changer, tout en gardant en lui "un questionnement, une inquiétude jamais calmés" pour sa langue maternelle. Et enfin pour l’écrivain, le passage "d’une vérité qu’on n’aperçoit pas" – la vie psychique, en d’autres termes – à une œuvre.

De la traduction littérale (traduire une langue étrangère) à la traduction métaphorique (traduire le livre qui est en nous), pour Julia Kristeva ces trois figures d’élection s’accompagnent toujours d’un risque.

 

Traduire et éditer la littérature étrangère : la passion à l’œuvre
D’une autre façon, éditer de la littérature étrangère n’est-il pas aussi un risque ? Jean Mattern, responsable chez Gallimard de ce domaine présent dès la fondation de la maison, a insisté sur le choix économique de péréquation que représente la traduction : dans la célèbre collection "Du Monde entier", un tiers des livres fait vivre les deux autres tiers. Des auteurs moins connus, ou écrivant dans des langues plus rares (au total 44 traduites au catalogue), peuvent nécessiter un travail dans la durée – "Il faut parfois 25 ans pour faire connaître et apprécier un auteur !"

Ajoutons à cela les exigences des agents anglo-saxons, visant à raccourcir la durée des droits, et "la midlist est en train de fondre comme neige au soleil", a déclaré Jean Mattern. Des difficultés de plus en plus grandes donc, et ce malgré des aides publiques, comme celles du CNL et de ses équivalents étrangers. Vincent Monadé, qui en est le président et modérait le débat, a rappelé que les traductions représentent 18% de la production éditoriale française, et que le CNL consacre chaque année 2 millions d’euros à l’aide à la traduction.

 

L’histoire des éditions Actes Sud commence aussi  avec  des  traductions (Stig Dagerman, Göran Tunström, Nina Berberova, Nancy Huston…), car son fondateur, Hubert Nyssen, était attaché à un "partage de la littérature sans idée de frontière", comme l’a rappelé Françoise Nyssen. L’actuelle dirigeante de la maison basée à Arles considère le rôle de l’éditeur comme un "catalyseur" : le traducteur conjugue sa passion à la sienne. Et si la traduction est une condition de la circulation des œuvres, elle est aussi un art en soi. André Markowicz n’est-il pas un créateur lorsqu’il traduit depuis 25 ans l’intégralité de l’œuvre de Dostoïevski chez Actes Sud ? Khaled Osman, traducteur de l’arabe pour les éditions Sindbad, n’est-il pas un découvreur lorsqu’il cherche à capter l’attention des lecteurs français sur des romanciers arabophones qui leur sont si peu familiers ? La traduction est un geste littéraire qui vaut la reconnaissance acquise par cette profession en France. Mais en est-il toujours ainsi avec le phénomène de "best-sellerisation" des ouvrages, les agents internationaux exigeant des traductions rapides pour orchestrer les parutions ? Parfois, restent comme pare-feu les lecteurs, ceux que l’on pense intéressés par des retraductions (en général un long travail), comme celles de l’œuvre de Joyce, de La ferme africaine de Karen Blixen ou de Berlin Alexanderplatz d’Alfred Döblin chez Gallimard. Sans oublier le rôle fondamental des libraires, mis en évidence par Françoise Nyssen qui, d’après elle, ont permis le succès du livre de 800 pages de Jaume Cabre, Confiteor.

 

Paris, capitale de l’exil littéraire : dans quelle langue y écrit-on ?
La dernière table ronde de cette matinée, modérée par Josyane Savigneau, journaliste au Monde, portait sur l’exil littéraire. Ou plutôt les exils, comme l’ont montré les écrivains présents Nancy Huston et Jake Lamar, qui vivent et publient tous deux en France. La première, d’origine canadienne anglophone, a résidé dans plusieurs pays. Pas de nostalgie de sa terre natale, pas véritablement enracinée en France, ni d’ici ni d’ailleurs, Nancy Huston se sent chez elle "parmi les étrangers". Auteur d’une quarantaine de livres, elle écrit désormais dans les deux langues, allant jusqu’à l’auto-traduction de l’anglais vers le français pour Cantique des plaines. Le second, auteur de romans policiers, venu du Bronx à Paris dans le sillage de ses auteurs fétiches (Hemingway, Fitzgerald et surtout Chester Himes) pour ne plus repartir, ne lâche pas sa langue maternelle.


Par rapport à ces expériences d’exils choisis – mais la langue l’est-elle ? –, l’intervention d’Elisabeth Niggemann, directrice de la Deutsche Nationalbibliothek, a évoqué l’exil subi de certains Allemands vers Paris durant les années d’avant-guerre et de guerre, et autour desquels la bibliothèque a constitué un fonds rassemblant certains de leurs récits d’exilés pour les rendre accessibles dans le monde entier.


Cette mémoire numérique, "contre l’oubli", à laquelle s’est référée Elisabeth Niggemann, était une bonne introduction à la seconde partie de la journée, consacrée au "numérique, nouveau lieu de mémoire", dont le projet Europeana – accès aux ressources culturelles européennes – est l’un des éléments phares.


Catherine Fel

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