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Le Billet de New York : des librairies pas ordinaires

décembre 2014

La place des livres traduits dans les librairies indépendantes de New York : sept libraires nous parle de leur perception de la vente de traductions au public américain.

Événement notoire de l’année écoulée, l’ouverture de la librairie française Albertine à New York, en septembre 2014, redonne de la visibilité aux livres français, pour lesquels n’existait plus aucun point de vente spécifique après la fermeture de la librairie Molho en 2009, située au Rockefeller Center. Mais qu’en est-il plus généralement pour les librairies indépendantes qui ont déjà ouvert leurs rayons aux productions étrangères ?

 

Les librairies indépendantes aux États- Unis, dont les ventes représentent à peu près 3% du marché du livre seulement*, sont pourtant le lien indispensable entre les éditeurs de livres en traduction (pour la plupart, des indépendants ou des presses universitaires) et leurs lecteurs. Elles connaissent d’ailleurs un certain renouveau puisque leur nombre a augmenté de plus de 20% ces cinq dernières années, selon l’American Booksellers Association. Ce sont elles qui, ici, sont les plus attentives aux nouveaux auteurs et aux œuvres de création littéraire. Elles sont appréciées pour pouvoir influer sur la renommée d’un livre par le seul bouche-à-oreille, au contraire des grandes chaînes comme Barnes & Noble ou encore, bien sûr, du géant de la vente de livres, Amazon.

 

Nous avons demandé à sept libraires de nous parler de leur perception de la vente de traductions au public américain (ou, parfois, étranger). D’après leurs réponses, c’est à croire qu’ils sont plus enthousiastes que les éditeurs eux-mêmes ! **

 

* Publishers Weekly, 29/09/2014

** Propos recueillis avec l’aide d’Edgar Dubourg, F.P.A.

 

 

Emily Pullen

Word Bookstores, 126 Franklin Street, Brooklyn

Pour Emily Pullen, on peut parler de succès avec les livres en traduction proposés dans la librairie, qui représentent à peu près 10% de leur stock. Pour cette raison et afin d’assurer la promotion des livres après parution, les responsables aiment organiser des évènements autour de livres de l’étranger, même si l’auteur ne peut pas être présent. Dans ce cas, ils invitent le traducteur ou l’éditeur, ou les deux.

Leur plus grand succès actuel est Mon combat de l’auteur norvégien Karl Ove Knausgaard. Et quels auteurs français séduisent leur clientèle ? Muriel Barbery et Dominique Fabre.

 

Stephanie Valdez

The Community Bookstore, 145 Seventh Avenue, Brooklyn

Même retour de la part de la responsable de cette librairie, située aussi à Brooklyn. Il y a une clientèle pour la littérature étrangère traduite, que les responsables aiment par ailleurs beaucoup recommander.

Là encore, Karl Ove Knausgaard joue un rôle de locomotive : il est parvenu à mobiliser 250 participants à un événement dans la librairie, chiffre jamais atteint même par un auteur américain.

En novembre, une soirée a été programmée avec le traducteur américain de Patrick Modiano, Mark Polizzotti. L’an dernier, une rencontre avait été organisée autour de Proust. Parmi les auteurs classiques, Dumas se vend bien.

 

Kate Garber

192 Books, 192 10th Avenue

En 2003, à l’ouverture, se souvient Kate, le nombre de livres en traduction publiés était moindre. Il était assez difficile de trouver de bons livres en dehors des classiques. Ce fut justement l’un des objectifs des fondateurs de l’endroit : offrir de la littérature du monde entier. Et, aujourd’hui, ils proposent un espace bien fourni de "Books in Translation", qui est la source de leur meilleur revenu ! Eux aussi se plaisent à accueillir les auteurs étrangers. "Ce sont 60 personnes qui ont assisté à la lecture d’Emmanuel Carrère, dont nous vendons tous les livres."

Autres succès : Elena Ferrante, Clarice Lispector, Karl Ove Knausgaard, Daniel Arsand, André Breton, Alain Robbe-Grillet, Hélène Cixous et Boris Vian, entre autres.

 

Matt Pieknik

McNally Jackson, 52 Prince Street

Matt Pieknik explique que McNally n’est pas "une librairie ordinaire" : ici, les traductions sont en bonne place. On les trouve rangées par aire géographique. Une idée de Sarah McNally, la propriétaire, qui voulait montrer qu’il y a plus d’une façon d’aborder la littérature en traduction. "Les livres écrits par les auteurs africains, par exemple, l’ont été dans un contexte très différent des livres français ou allemands", nous dit-il. Ces auteurs étrangers donnent lieu à des événements dans la librairie, regroupés sous le nom de "The Bridge Series", auxquels participent beaucoup de traducteurs.

L’esprit du lieu est de ne pas faire de différence entre un livre traduit ou pas, seul importe le contenu. Constat est fait qu’il est plus facile de vendre les classiques que les œuvres récentes, encore plus si la presse ne s’en fait pas l’écho. Proust et Simone de Beauvoir connaissent de bonnes ventes ; pour la littérature plus récente, Édouard Levé, Elena Ferrante et Muriel Barbéry sont des auteurs à succès. Et, bien sûr, "maintenant Modiano se vend très bien".

 

Brianne Sperber

The Strand, 828 Broadway

"Nous avons commencé en 1927 comme librairie d’occasion", nous rappelle Brianne Sperber, "mais depuis 10 ans nous vendons des nouveautés", dont celles d’auteurs étrangers (mais il y en a peu) côte à côte avec des auteurs américains.

"Un de nos auteurs les plus vendus est Albert Camus. Récemment, nous avons accueilli l’auteur espagnol Marc Pastor dans le cadre d’une thématique roman policier. En ce moment, nous raconte-t-elle, tout le monde aime Knausgaard."

"À partir du moment où un livre traduit donne lieu à des critiques dans la presse, nous pouvons en attendre autant que d’un livre américain. Par exemple, Le voyage d’Hector de François Lelord a connu un grand succès. Il est présent sur notre table "best of the best" depuis quatre ans ! Nous proposons aussi beaucoup de classiques. Georges Perec marche très bien, l’intérêt est grand actuellement pour les livres de Patrick Modiano, mais nous n’en avons pas pour l’instant."

 

Andy Latties

Bankstreet Bookstore, 2879 Broadway

Cette librairie, spécialisée en jeunesse et éducatif, propose une grande sélection de livres en traduction provenant de beaucoup de pays. Les responsables organisent des évènements lors de la venue d’auteurs, comme récemment l’auteur français Marc Boutavent et l’auteur brésilien Vin Vogel. Comme les libraires précédents, Andy Latties explique qu’un livre traduit ne change pas sa réception par le public. Leurs plus grands succès en traduction sont les livres de l’auteur et illustrateur français Hervé Tullet et de l’illustrateur japonaisTaro Gomi.


Lucinda Karter

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