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Compte rendu

Rencontres franco-américaines d’éditeurs de livres d’art et de beaux livres à New York : quelles perspectives ?

juillet 2014

[29-30 mai 2014]
Malgré un agenda, pour certains, très serré à la veille de BookExpo America, les professionnels du livre d’art américains ont participé en nombre à ces rencontres franco-américaines, que le BIEF organisait le 28 mai dernier, à La Maison Française New York University.

Malgré un agenda, pour certains, très serré à la veille de BookExpo America, les professionnels du livre d’art américains ont participé en nombre à ces rencontres franco-américaines, que le BIEF organisait le 28 mai dernier, à La Maison Française New York University.

 

Pour les participants français, ces journées se composaient d’une partie discussion, de rendez-vous avec leurs partenaires (ou prospects) américains et de la visite guidée, le 29 mai, de deux librairies : McNally Jackson, l’un des bastions de la librairie indépendante new-yorkaise, et la librairie du Metropolitan Museum, suivie d’un déjeuner avec sa responsable des achats, Marilyn Jensen. La majorité des éditeurs français qui avaient fait le déplacement ont poursuivi par BEA.

 

Une volonté de contact, de mieux se comprendre, et une salle comble d’éditeurs, de responsables des droits, de responsables export, de distributeurs et de libraires ont permis des échanges de qualité sur les trois sujets abordés : la diffusion des publications françaises aux États-Unis, l’édition de livres numériques dans le domaine de l’art et du livre illustré et la cession des droits et/ou coéditions entre partenaires français et américains.

 

Sur ce dernier sujet, force est de constater que la tendance n’est malheureusement pas au beau fixe : des coûts de reproduction des œuvres toujours plus élevés et aussi des frais de traduction onéreux, avec un dollar faible par rapport à l’euro, sont autant d’arguments qui poussent les éditeurs outre-Atlantique à se montrer prudents. A fortiori, lorsque le sujet (artiste, courant artistique) a déjà fait l’objet de publications ou sort un peu de leur catalogue, les partenaires américains sont durs en affaire.

 

Ainsi, les cessions se font rares, les coéditions voire les coproductions, si possible accompagnées d’une aide à la traduction, étant les meilleures propositions pour entamer une négociation. En outre, il s’agirait également de répartir les frais relatifs au marketing et à la promotion, et faire de même dans les partenariats avec les distributeurs.

Car si Paris et la France restent des sujets porteurs, comme l’a rappelé Sherri Aldis, directrice internationale aux Éditions du Chêne et intervenante aux côtés de David Fabricant (Abbeville Press) à la table ronde sur les échanges de droits, d’autres thèmes, purement artistiques, tels les impressionnistes, ont cédé la place à une vague plus contemporaine représentée notamment par la scène artistique (et les publications) allemande. Certes, la qualité des publications françaises et l’approche des essais sur l’art sont connues et reconnues outre-Atlantique, mais pour la partie livre illustré, il semble que l’édition américaine regarde maintenant dans une autre direction.

 

C’est en tout cas ce qu’affirme Sharon Gallagher, tout à la fois appuyée et contredite par Bernard Bonnet, responsable de la librairie du musée des Beaux-arts de Houston. Ce dernier, antérieurement responsable de la librairie Artcurial et de la librairie du Centre Pompidou à Paris, regrettait principalement, entre autres obstacles, la faiblesse des remises des éditeurs français comparées à celles de leurs collègues américains, rendant les publications françaises peu compétitives.

 

C’est finalement la discussion autour du numérique qui a accordé tout le monde. À la recherche de partenaires pour des développements à l’international, Nicolas Roche, des éditions du Centre Pompidou, et Charles Kim, des éditions du MoMA, ont expliqué combien les associations entre éditeurs pouvaient être bénéfiques en la matière et permettre d’amortir les coûts de développement. Si les livres numériques de texte connaissent un fort succès aux États-Unis, face au domaine illustré, Français et Américains en sont à peu près au même stade. La perspective que le numérique peut engendrer des ventes papier et toucher un très large public au-delà des frontières - en attendant une véritable mutation du lectorat - explique également les investissements financiers que les éditeurs sont prêts à faire. Plein de questionnements et de curiosité face aux publications électroniques, les professionnels américains, aussi bien ceux rattachés à des institutions publiques que les éditeurs privés, tentent divers formats et affinent leurs réflexions, convaincus d’un avenir meilleur.

 

Peut-être plus que jamais, à New York "le temps c’est de l’argent", et les professionnels américains ne veulent perdre ni l’un ni l’autre. Du côté de la librairie, il y a encore de la place pour qui voudrait représenter et orchestrer la vente des publications françaises, ce qui pourrait compléter le travail des grands distributeurs dont les conditions et le catalogue ne représentent pas toujours l’ensemble de la production de livres d’art. Le potentiel pour les publications en langue anglaise en France n’est également plus à démontrer, c’est ce qu’a confirmé John Brancati de ACC Distribution qui, à l’issue de la manifestation, a confirmé son envie de développer son offre éditoriale dans ce domaine.

 

Enfin, comme on l’a vu, si les publications d’art des éditeurs français sont à la fois appréciées des professionnels du livre américain mais font l’objet d’une rude sélection, il est à noter que les publications de livres jeunesse français, qui se démarquent singulièrement de la tradition de ce type de livres dans des pays anglo-saxons, intéressent beaucoup les libraires, comme l’a rapporté Norman Laurila, libraire au MoMA, "elles sont faites pour les librairies des musées", en parfaite adéquation cette fois-ci…

 

 

Témoignages

 

Bernard Bonnet (responsable de la librairie du musée des Beaux-Arts de Houston)

 

• BIEF : Quels vous semblent être les potentiels pour les publications françaises dans le domaine de l’art ?

 

• B. B. : Vu la situation de la librairie aux USA, il n’y a guère que les librairies des musées qui peuvent les vendre (je ne parle pas des réseaux de vente aux bibliothèques). Les publications françaises en français peuvent être de très bons compléments d’assortiment autour d’une exposition, parfois les seuls choix possibles dans le cas d’artistes sur lesquels il n’y a rien en anglais, Georges Braque en est le dernier exemple. L’édition d’art française ne présente pas de qualités particulières par rapport à l’édition anglo-saxonne, comme par exemple l’édition d’art suisse dans les années 50-60 qui se distinguait par sa qualité d’impression (les années glorieuses de Skira ou de la Bibliothèque des Arts, les éditions du Griffon, etc.). Reste donc le sujet. Je ne suis pas sûr que les éditeurs français soient plus courageux que leurs collègues anglo-saxons pour oser publier des monographies d’artistes en totale déconnexion avec l’activité muséale…

La langue est bien entendu un obstacle mais je ne crois pas, expérience à l’appui, qu’il soit insurmontable, surtout pour le public cultivé et éduqué des livres d’art.

Le prix peut être plus handicapant. Les remises ridiculement basses accordées par les éditeurs français aux libraires, le prix du transport et le taux de change €/$ font qu’un prix de vente, même raisonnable, demeure très élevé par rapport au prix moyen des livres d’art américains.

 

• BIEF : Qu’avez-vous retiré de ce Workshop ?

 

• B. B. : J’ai été ravi de rencontrer des partenaires que je ne connaissais que par des échanges d’e-mails ou téléphoniques. Plus nous avons d’occasions d’expliquer notre marché et notre travail de libraires américains, plus on aura de chances de se faire comprendre et d’améliorer ainsi les conditions commerciales. Je vais à Francfort tous les ans, mais là les éditeurs français ne s’intéressent pas aux libraires, obnubilés qu’ils sont par la vente des droits…

 

 

Nicolas Roche (directeur des éditions du Centre Pompidou)

 

• BIEF : Quelles grandes différences y a-t-il, selon vous, entre les expériences et les produits numériques dans le domaine du livre illustré aux États-Unis et en France ?

 

• N. C. : Si la différence est bien marquée quant à l’offre et à la "consommation" de livres numériques uniquement de texte, elle est un peu moins sensible pour le livre illustré, notamment sur des segments comme l’art moderne et contemporain. La complexité de la gestion des droits et les coûts de développement, ainsi que les premiers résultats commerciaux invitent les éditeurs à une certaine prudence. Mais cette différence peut s’avérer plus importante, comme par exemple sur les catalogues d’exposition, certains établissements américains ayant développé une offre assez importante de catalogues disponibles sous format numérique, due notamment aux différences de droits d’auteur entre les marchés français et américain. D’une façon générale, les éditeurs américains ont généralement plus fait le choix de livres numériques et les éditeurs français plutôt le choix d’applications.

 

• BIEF : Les collaborations internationales que vous avez faites dans ce domaine, notamment avec les États-Unis, sont-elles satisfaisantes ? Quels développements en attendez-vous ?

 

• N. C. : Nous avons plusieurs projets de développement, principalement avec des structures éditoriales adossées à des institutions muséales à l’horizon fin 2015. Sur un point très technique, la négociation des droits peut également se révéler plus intéressante économiquement lorsque les demandes sont effectuées conjointement plutôt que séparément.

 

 

Hélène Clastres (directrice des droits internationaux, Gallimard Loisirs)

 

• BIEF : Qu’est-ce qui vous a le plus intéressée dans ces rencontres franco-américaines ?

 

• H. C. :  La discussion avec les distributeurs était enrichissante pour comprendre le marché américain, non seulement du point de vue de l'export du livre français, mais également à propos de la cession de droits et de la distribution en langue anglaise : les remises librairies pratiquées par les éditeurs américains, les canaux de vente et l'émergence de réseaux parallèles tel le gift market.

La discussion sur le numérique était également intéressante et corrobore nos propres expériences.

 

• BIEF : Qu’avez-vous pensé de BEA ?

 

• H. C. : C'est une belle vitrine du marché du livre américain pour avoir un aperçu global des productions. C’est un salon à taille humaine pour y glaner de nouveaux contacts - mais à une date peu appropriée pour l'achat de droits, car il se déroule entre deux saisons.

Nous y avons rencontré principalement des éditeurs que nous connaissions déjà pour des rendez-vous d'achat et de vente de droits, car les éditeurs américains s'intéressent à notre production. En revanche, sur les conditions économiques des projets, il est de plus en plus difficile de parvenir à un accord.


Laurence Risson