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Compte rendu

Rencontres franco-turques des éditeurs de littérature et sciences humaines

juillet 2014

[5-6 juin 2014]
Au cours de ces rencontres organisées par le BIEF, en collaboration avec l'Institut français de Turquie et l'Association des éditeurs turcs, les professionnels turcs ont souligné l'importance de tables rondes "portant sur le processus de création éditoriale".

L'année dernière, le BIEF avait programmé en juin, à Istanbul, une rencontre entre éditeurs de littérature qui a dû être annulée du fait des événements qui ont agité la Turquie, et plus précisément la place Taksim - mitoyenne de l’Institut français. Le groupe SHS du BIEF ayant, quant à lui, programmé des rencontres en Turquie en 2014, les deux opérations regroupées se sont tenues les 5 et 6 juin de cette année, à l’Institut français d’Istanbul, qui avait mis ses locaux à la disposition du BIEF.

 

Ces journées - l’une de débats et l’autre constituée de rendez-vous individuels - ont été organisées en collaboration avec l’Association des éditeurs turcs (TPA). Celle-ci s’est montrée un relais particulièrement enthousiaste et efficace pour toucher le plus grand nombre d’éditeurs turcs spécialisés en sciences humaines et en littérature ou, comme c’est souvent le cas en Turquie, présents sur les deux secteurs éditoriaux.

 

Les difficultés de la profession en Turquie au premier plan

La première table ronde portait sur les passeurs de livres - libraires, critiques littéraires, bibliothécaires, etc. - qui œuvrent pour que le livre arrive aux lecteurs. Ce fut l’occasion pour Can Öz, directeur de la maison Can, qui intervenait aux côtés de Daniel Martin (critique littéraire au journal La Montagne), de rappeler à quel point, en Turquie, ce sont surtout - et fort malheureusement - ceux qui empêchent le livre de circuler qui ont le rôle central, en exerçant une censure et une pression sur les éditeurs du pays.

 

À sa suite, le secrétaire général de l’Association des éditeurs turcs, Kenan Kocatürk, a de son côté fait ressortir, l’aspect paradoxal de l’interaction avec les pouvoirs publics. Ainsi, d’un côté ils peuvent apporter un soutien au secteur de l’édition, par exemple en contribuant fortement à faire diminuer le piratage des livres, ce qui a permis aux éditeurs de récupérer un nombre important de lecteurs. Mais, dans le même temps, les éditeurs sont soumis à la censure de l’État qui leur interdit de publier certains livres, notamment en traduction. Face à cette situation, pour certains éditeurs turcs l’État ne doit pas être sollicité, y compris pour pousser à la création d’un prix unique du livre, pourtant réclamé par la TPA, alors que d’autres considèrent qu’il faut savoir utiliser l’intervention publique dans certains cas, tout en tentant de la contourner dans d’autres. Un problème omniprésent au quotidien, quelle que soit la façon de l’aborder.

 

L’après-midi a été consacré aux sciences humaines et sociales sous l’angle de la production et des traductions. Il est apparu qu’elles ont partie liée : la production éditoriale - aussi bien que celle émanant de la recherche - des sciences humaines et sociales turques s’est de fait très tôt nourrie des auteurs occidentaux, via des traductions en langue turque, d’une part, et l’adaptation de la pensée occidentale au contexte et aux enjeux turcs par les auteurs turcs, d’autre part.

 

Pour Bilge Sanci (SEL publishers), de nouvelles tendances dans les traductions apparaissent, comme l’émergence d’ouvrages consacrés aux questions LGBT (lesbiennes, gays, bi et trans) ou représentatifs des "queer studies", par exemple. Côté français, les deux interventions complémentaires de Martine Fournier (revue Sciences humaines) et Paul Garapon (PUF) ont fait ressortir les points forts de la production éditoriale française en SHS et les aspects de celle-ci qui s’"exportent" le plus en traduction.

 

Ces deux journées de rencontres, qui faisaient suite à celles organisées par le BIEF autour du livre jeunesse en 2012 (mais aussi au séminaire organisé par le BIEF à l’occasion de la présence turque au Salon du livre de Paris 2010), ont été l’occasion de resserrer des liens entre éditeurs français et turcs à un moment où il est capital que les éditeurs turcs continuent d’échanger avec l’extérieur et se sentent soutenus par leurs confrères à l’international.                   

 

Claire Mauguière

 

 

Fahri Aral (Bilgi Üniversitesi Yayınları)

"L’organisation de tables rondes portant sur le processus de création éditoriale est primordiale."

"C’est, dès l’époque ottomane, que la pensée européenne commence a être connue et intégrée par les intellectuels ottomans, et cette circulation d’idées s’est prolongée tout au long de la République. Aujourd’hui, il existe une recherche et une réflexion en sciences sociales indépendantes et une génération de chercheurs turcs productifs.

Pendant le règne du parti unique (1930-1940), c’était l’idéologie formelle de l’État qui monopolisait le système de pensée dans le domaine des sciences sociales. À cette époque, les intellectuels ne parviennent pas vraiment à se libérer de cette idéologie et à proposer des travaux critiques et authentiques. Ce n’est que pendant les années 1950, et encore davantage après les années 1960, que l’on note un réel changement et que l’on remarque également une augmentation significative du nombre de publications en SHS en Turquie.

 

Parmi les auteurs marquants de cette période, il faut noter : dans les annéees 1950-1960, Halil Inalcik, Tarif Zafer Tunaya, Mete Tunçay, Taner Timur, entre autres ; dans les années 1970-1980, Nilfüger Göle, Selim Deringil ; et d’autres encore pour les années 1990-2000.

Les livres de certains de ces auteurs sont traduits en langues étrangères, surtout en anglais. Aujourd’hui, les ouvrages des chercheurs turcs, et étrangers, sur la Turquie sont en effet suivis avec attention. De plus en plus de lecteurs sont curieux de ce pays candidat à l’entrée dans l’Union européenne, de son histoire, de sa structure sociale et de son économie.

 

Néanmoins, l’édition de SHS en Turquie est confrontée à certains problèmes. Si l’édition académique et universitaire se développe, le travail d’édition autour des textes n’est pas toujours satisfaisant, et l’effort de certaines maisons pour publier des ouvrages de SHS de qualité ne suffit pas pour engendrer une progression d’ensemble de la qualité éditoriale. Cet état de fait a plusieurs causes, et notamment le fait que, pendant longtemps, c’est l’État qui a rempli le rôle d’éditeur, empêchant ainsi des éditeurs indépendants d’acquérir le savoir-faire éditorial. Pourtant, de plus en plus de maisons d’édition se créent en Turquie, notamment dans ce secteur, avec une approche très professionnelle du travail éditorial. Un autre obstacle pour le développement du secteur des sciences sociales en Turquie est souvent la mauvaise qualité des traductions, même si, là encore, les exemples de bonnes traductions se multiplient.

 

L’organisation de conférences et de tables rondes portant notamment sur le processus de création éditorial est donc primordiale. Se servir de l’expérience des amis éditeurs français représente une belle opportunité pour les éditeurs turcs."



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