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Compte rendu

Rencontres professionnelles d’éditeurs de jeunesse et de bande dessinée à Varsovie

juillet 2014

[22-23 mai 2014]
Après les rencontres d’Istanbul et de Londres en 2012 et de Moscou en 2013, le BIEF et l’Institut français de Pologne ont réuni éditeurs polonais et français de jeunesse et de bande dessinée, dans le cadre du Salon du livre de Varsovie. Des échanges qui ont confirmé de réelles opportunités de développement.

Après les rencontres d’Istanbul et de Londres en 2012 et de Moscou en 2013, le BIEF et l’Institut français de Pologne ont réuni éditeurs polonais et français de jeunesse et de bande dessinée les 22 et 23 mai derniers, dans le cadre du Salon du livre de Varsovie. Une délégation de 16 représentants de 26 maisons d’édition françaises a fait le déplacement pour rencontrer plus d’une trentaine de professionnels polonais. Interventions croisées, visites de librairies et rendez-vous individuels étaient au programme de ces deux intenses journées.

 

Au premier plan : vers une régulation du secteur en Pologne

Lors de la première table ronde sur les marchés du livre polonais et français, Piotr Dobrolecki (Chambre polonaise du livre, Biblioteka analiz) et Jean-Guy Boin (BIEF) ont abordé les questions d’encadrement du secteur dans les deux pays. "Régulation : si j’avais utilisé ce terme il y a quelques années, tout le monde aurait ri !", c’est ainsi que Piotr Dobrolecki a commencé son intervention. Aujourd’hui, la Chambre polonaise du livre, accompagnée de diverses associations professionnelles polonaises et profitant de l’expertise française en la matière, travaille à mettre au point un projet de loi s’inspirant de notre loi sur le prix unique du livre.

 

Piotr Dobrolecki a rappelé aussi le soutien actuel en Pologne des collectivités territoriales aux bibliothèques et le souhait de la Chambre polonaise du livre qu’un système d’aide à la librairie voie également le jour, sur notre modèle. C’est en effet avec une certaine inquiétude que les éditeurs polonais ont appris que l’État allait devenir éditeur de certains manuels scolaires, qui seraient distribués gratuitement dans les écoles. Le réseau de la librairie, déjà fortement fragilisé par la crise que connaît le secteur, risque d’y perdre beaucoup.

 

Autre fragilité du secteur de la librairie, selon lui, c’est que, dans la relation éditeurs-distributeurs-libraires, "ce sont les distributeurs qui gouvernent". On peut y ajouter aussi les difficultés des librairies - dans les grandes villes notamment - à se moderniser et à s’adapter face à l’augmentation des loyers, aux nouvelles habitudes culturelles des jeunes Polonais et à une démographie très basse. Pari néanmoins réussi pour la librairie Bullerbyn, située dans le centre de Varsovie, que nous avons visitée. Cette librairie, 100% jeunesse, d’une toute petite surface, propose un assortiment de qualité avec des références polonaises et étrangères et a su fidéliser sa clientèle.

 

Un noyau d’éditeurs passionnés offrent une belle visibilité à la BD française de qualité

Sylvain Coissard (Futuropolis, Sarbacane BD, Gallimard BD, Palette…) et Paweł Timofiejuk (Timof) ont ensuite dressé un portrait des marchés de la bande dessinée dans les deux pays, assez peu comparables. En France, avec près de 5 000 titres publiés par an, des best-sellers atteignant le million d’exemplaires vendus, le marché de la BD représente plus de 9% du CA des éditeurs et 10% des ventes en volume. En Pologne, ce sont 420 bandes dessinées qui sont parues en 2013, soit 1% du marché total. Environ un quart des 380 strictes nouveautés sont des traductions, dont une grande majorité (environ 90%) des bandes dessinées franco-belges, puis des mangas et des comics.

 

Selon Sylvain Coissard, "en dehors d’Egmont, qui se recentre sur les valeurs sûres, il y a un petit noyau d’éditeurs passionnés et connaisseurs qui aiment la BD française de qualité et lui offrent une belle visibilité, même si les tirages restent modestes." Les tirages, hors best-sellers (comme par exemple Thorgal, dont chaque volume se vend à environ 20 000 exemplaires), sont de l’ordre de 300 à 2 000 exemplaires, tandis que les prix de vente oscillent entre 8 et 25 €, somme élevée pour le pouvoir d’achat polonais. Mais malgré ce frein, un réseau de librairies spécialisées encore restreint (une douzaine sur tout le territoire), des auteurs "bien mal payés", selon Paweł Timofiejuk, et des salons de BD qui se comptent sur les doigts d’une main, il n’est pas rare de voir de longues files d’attente lors des dédicaces d’auteurs/dessinateurs, comme lors du festival BD de Łódź.

 

Des opportunités de développement malgré le recul de l’édition jeunesse polonaise

Lors de la dernière intervention, qui portait sur l’édition jeunesse, c’est Frédéric Lavabre (Sarbacane) qui a dressé un portrait du secteur en France et analysé ses points forts : grande créativité des auteurs/illustrateurs, nombreux salons du livre jeunesse et écoles d’art où les éditeurs peuvent découvrir des talents, autant de soutiens indispensables pour la profession. Michał Zając (professeur à l’université de Varsovie) a, de son côté, rappelé que le secteur en Pologne n’échappe pas à la crise. Sa part dans la totalité des ventes de livres a baissé de près de 33% entre 2008 et 2012, le tirage moyen a été divisé par deux entre 2008 et 2012, tandis que le prix moyen des livres de jeunesse a augmenté de façon régulière. Le seul indicateur qui se soit maintenu est celui du nombre de titres publiés annuellement (autour de 3 300 titres).

 

Pour Michał Zając, l’explication peut venir des changements profonds dans les habitudes culturelles des jeunes Polonais, les digital natives appartenant à la "génération Internet", mais aussi de l’évolution démographique : d’après le quotidien Gazeta Wyborcza, la Pologne occuperait la 212e place en termes de nombre de naissances sur 224 pays dans le monde.

Cependant, comme l’indique Sylvain Coissard, "malgré un marché de la jeunesse globalement en recul, on voit des petits maisons d’édition jeunesse dynamiques et novatrices tirer leur épingle du jeu, ce qui constitue pour les éditeurs français, à la pointe en termes de graphisme et de contenu, de réelles opportunités de développement". Rappelons que les titres de la série du Petit Nicolas (traduits chez Znak) sont régulièrement en tête des ventes en librairies. De son côté, le titre Mapy, publié par Dwie Siostry et traduit en France chez Rue du monde (Cartes), figure dans les meilleures ventes de ses éditeurs, tant polonais que français.

 

Les échanges se sont poursuivis le vendredi 23 mai, lors d’une journée de rendez-vous entre professionnels polonais et français. Les éditeurs polonais semblent avoir été très sensibles au fait que les éditeurs français soient venus vers eux, lesquels ont pu rencontrer des éditeurs polonais qu’ils ne connaissaient pas, avec sans doute des contrats à la clé.

 

Frédéric Constant, chargé du livre (Institut français de Pologne), a présenté un panorama des aides publiques françaises dont peuvent profiter les professionnels du livre polonais : programmes d’aide à la publication de l’Institut français et de l’ambassade de France (PAP Boy-Zelenski) et programmes du Centre national du livre. Depuis le début des années 1990, ce sont environ 700 titres dont la publication en traduction polonaise a ainsi été soutenue. Les secteurs jeunesse et BD profitent de plus en plus de ces aides, et ce pour faire émerger sur le marché polonais de nouveaux auteurs et illustrateurs.


À titre d’exemple, ces trois dernières années : Emmanuel Guibert, Didier Lefèvre, Joann Sfar, Winshluss, Cyril Pedrosa, Merwan Chabane, Bastien Vivès, Hervé Tullet, Laëtitia Bourget, Emmanuelle Houdart, Jean-François Martin.


Anne Riottot

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