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Les échanges de droits entre la France et la République tchèque vus de Prague, par Frédéric Boudineau

juillet 2014

Les dernières statistiques de la Bibliothèque nationale tchèque placent le français au 3e rang des traductions vers le tchèque, loin derrière l’anglais ou l’allemand, mais également loin devant l’espagnol. Analyse et commentaires du responsable du Bureau du livre à l'Institut français de Prague.

Le français au 3e rang des traductions vers le tchèque

Les dernières statistiques de la Bibliothèque nationale tchèque répertorient, en 2012, 239 publications traduites du français vers le tchèque, loin derrière l’anglais (avec 2 338 titres) ou l’allemand (avec 970 titres), mais également loin devant l’espagnol, qui se situe au 4e rang avec 60 traductions. Ces chiffres comprenant les traductions des œuvres du domaine public, il est donc difficile de connaître le montant exact que représentent les cessions de droits. L’évolution de ce chiffre sur les dernières années ne fait pas apparaître de tendance nette : il est en dessous de la moyenne générale (environ 300 titres par an), mais avec un pic à 500 titres en 2010, année qui voit l’annonce d’une hausse massive de la TVA.

 

Le programme d’aide à la publication, le PAP Šalda (du nom d’un critique et traducteur tchèque du début du XXe siècle), est un bon outil pour avoir une idée plus précise des projets de traduction en cours. En 2014, ce sont 42 dossiers qui ont été déposés à la commission, dont la grande majorité (34) comportait une cession de droits, les autres relevant du domaine public.

 

Le secteur prépondérant concerné par ces demandes est la fiction, avec 17 titres qui en font l’objet, dont notamment ceux de Daniel Pennac, de Sorj Chalandon, de Franz-Olivier Giesbert ou encore de Benoît Duteurtre, un phénomène très particulier puisqu’il en est à sa huitième traduction en tchèque, toutes chez le même éditeur, Atlantis.

 

Avec 14 demandes, les sciences humaines et sociales occupent une place presque équivalente. Celles-ci se répartissent à peu près équitablement depuis plusieurs années entre la traduction de penseurs actuels (comme Alain Besançon, Jean-Yves Tadié pour son Proust) et celle, presque terminée maintenant, du corpus classique de la "french theory", avec encore cette année des textes de Lévinas, Barthes, Jankélévitch, ou encore un projet d’une première traduction de Lacan en tchèque.

 

Le programme Šalda essaie de soutenir tout particulièrement deux secteurs très dynamiques en France, mais à peine émergents en Europe centrale, que sont la littérature jeunesse et la bande dessinée. Si la bande dessinée perce un peu (à travers des auteurs comme David B., Alejandro Jodorowsky ou Emmanuel Guibert), force est de reconnaître que la littérature jeunesse ne "décolle" toujours pas, à l’exception de Pennac, mais pour un texte concernant tout autant les adultes. De plus, la majorité des traductions récentes (Timothée de Fombelle, Mickaël Olivier) sont le fait d’une seule maison d’édition, Baobab, excellente certes, très francophile mais assez petite.

 

Les aléas de la TVA : un facteur d’attentisme

De l’avis de la plupart des éditeurs rencontrés, le problème majeur de l’édition tchèque est celui du taux de la TVA, accessoirement celui d’un secteur de la distribution assez chaotique.

En 2004 encore, la TVA sur le livre n’était que de 5%. Elle n’a fait qu’augmenter depuis (au même titre que tous les produits concernés par la "TVA réduite", pour arriver à 15% en 2013, avec l’annonce de son relèvement à 17% pour 2015. Une nouvelle coalition est arrivée au pouvoir à l’automne 2013, sur un programme qui proposait le retour à une TVA réduite à 5%, comprenant le livre, alors que le gouvernement semble maintenant se contenter de 10% pour l’année prochaine.

 

Les éditeurs commencent à souffler tout en restant méfiants et attentistes, ce qui nuit bien entendu aux achats de droits. Il faut saluer d’ailleurs le dynamisme du nouveau président du Syndicats des éditeurs et des libraires, Martin Vopĕnka, qui a, le 23 avril, organisé une "journée sans TVA" chez les libraires, la part de celle-ci étant prise en charge par les éditeurs et les libraires, pour convaincre le public que le livre pourrait être moins cher si les politiques publiques étaient différentes.

 

L’autre problème, lancinant, est celui de la distribution, incluant la librairie. Si la République tchèque ne compte pas de réseau comparable à celui de la FNAC, ni de vente massive de livres dans les supermarchés, la librairie est néanmoins très handicapée par l’absence de loi antirabais. De très gros réseaux de libraires, souvent liés à d’importants groupes d’édition privilégiant les best-sellers à rotation rapide, dominent le marché. La récente Foire du livre de Prague bruissait de rumeurs de faillite de l’un de ces groupes, ce qui inquiète au plus haut point les éditeurs, qui y voient la perspective d’un réseau de librairies en position dominante, lié à un gros groupe d’édition. L’absence de cadre juridique autour de l’économie du livre se fait donc sentir, comme l’ont bien noté Alain Gründ (administrateur du BIEF) et Jean-Guy Boin (Directeur général) au cours d’une table ronde qui était dédiée aux éditeurs tchèques à l’occasion de la Foire du livre de Prague.


Frédéric Boudineau, Responsable du Bureau du livre à l'Institut français de Prague

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