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Une Europe du livre est-elle possible ? par Philippe Goffe

juillet 2014

Les rencontres entre les organismes européens du livre, organisées par le Cnl en marge du Forum de Chaillot en avril dernier, ont montré avec évidence que les enjeux auxquels font face les professionnels du livre se retrouvent partout en Europe... Le point de vue de Philippe Goffe, directeur de la librairie Graffiti à Waterloo, ex-président de l'AILF.

Les rencontres entre les organismes européens du livre, organisées par le Cnl en marge du Forum de Chaillot en avril dernier, ont montré avec évidence que les enjeux auxquels font face les professionnels du livre se retrouvent partout en Europe, quoiqu’à des degrés divers, en fonction des législations locales (présence du prix unique, par exemple), ou des situations économiques, assez différentes entre le Sud et le Nord de l’Europe.

 

Ces enjeux concernent la création et tout ce qu’elle entraîne, à travers les questions liées à la protection du droit d’auteur, la traduction des œuvres, la diversité de l’offre ou encore le maintien d’un réseau professionnel d’éditeurs, de libraires et de bibliothécaires, afin de garantir l’accès de tous au livre.

 

Ce n’est sans doute pas très original de souligner que fondamentalement, c’est l’univers digital au sens large qui modifie la donne, par un accès simultané, instantané, et sans beaucoup de régulation, à l’information, au partage de cette information, mais aussi aux produits, tant physiques que virtuels. À l’ère du numérique tout s’échange, et tout peut s’échanger sans garde-fous si l’on n’y prend garde.

 

Bien entendu, dans l’histoire de la communication, c’est un événement, assez extraordinaire, qui a une relation directe avec une économie de plus en plus globalisée et ses phénomènes de concentration et d’industrialisation, alors que le livre était censé, jusqu’à présent, être essentiellement un objet, une création artisanale.

 

C’est toute la chaîne du livre qui est secouée.

D’abord par l’émergence de groupes de dimension mondiale, principalement américains, qui se jouent des législations locales et surtout qui tentent d’agréger, d’un côté les auteurs, de l’autre les lecteurs, ceux-ci réduits au simple niveau de consommateurs, dans des "silos" agissant comme des écosystèmes fermés.

Mais peut-être aussi, pensons-nous, par un détournement de ce lecteur-consommateur de l’acte de lecture tel qu’il prévalait jusqu’ici, marqué du sceau de la lenteur et de la solitude.

 

Les enjeux sont là.

Au-delà des mesures que chaque pays peut, ou doit prendre au niveau national, c’est du côté de l’Europe qu’il faut agir. On a bien compris que là se jouent les questions de droit d’auteur, de règles de concurrence, ou de fiscalité. L’urgence est la même aujourd’hui que la question du prix unique le fut dans les années 1980.

 

Les mesures à prendre exigent donc un lobbying européen.

À cette fin, l’interprofession doit nécessairement se regrouper. Auteurs, éditeurs, libraires sont dans le même bateau, quoiqu’en disent certains. Il faut donc développer une capacité de réflexion commune, et ensuite de lobbying interprofessionnel, de préférence en concertation avec les pouvoirs publics. C’est ce que nous tentons de faire en Belgique francophone avec le PILEn (Partenariat interprofessionnel du livre et de l’édition numérique).

 

Enfin, c’est à chaque métier de retrouver ses fondamentaux. Les libraires francophones d’Europe se sont rencontrés lors de séminaires à Berlin et à Madrid, sous l’égide du Cnl, du Bief, et de l’AILF. Ils se sont dit que, si l’Europe est au centre du débat, il n’est peut-être pas inutile de rappeler qu’au-delà des institutions, il y a une Europe de l’esprit. Qu’au-delà de la novlangue de ses techniciens, il y a une langue commune, celle de la littérature, qui a aussi façonné l’Europe. Le projet de "fonds européen", lancé aujourd’hui par les libraires francophones d’Europe tombe ainsi à point nommé. Repérer ensemble un certain nombre d’auteurs et de livres qui représentent ce que l’Europe a pu faire de mieux, et qu’elle fait encore. Affirmer ainsi, même si le terme est difficile à porter aujourd’hui, une identité, ou à tout le moins des valeurs communes. Partager cela entre libraires européens et sortir de son isolement pour devenir "Librairie d’Europe".

 

Bref, tout cela, c’est l’Europe du livre.


Philippe Goffe, librairie Graffiti (Waterloo)