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Un goût prononcé pour le livre français traduit, par Isabelle Berneron

mars 2014

Près de 190 titres français ont été cédés en traduction aux éditeurs argentins, ce qui fait de l'Argentine le second pôle de traduction vers l'espagnol après l'Espagne. "Les éditeurs et les lecteurs argentins accordent à nos penseurs et intellectuels une attention qui ne faiblit pas".

Les liens entre la France et l’Argentine sont anciens et profonds. L’influence française dans la région du Rio de la Plata a longtemps relevé essentiellement du domaine des idées. En effet, la diffusion des principes et thèses lancés par les philosophes, les idéaux de la Révolution française et de la Déclaration des droits  de l’homme ont permis à la France de bénéficier en Argentine d’une influence pérenne.

Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, Victoria Ocampo et Roger Caillois ont forgé un pont intellectuel entre nos deux pays. Victoria Ocampo, avec la revue Sur et les éditions du même nom, et Roger Caillois, avec Les lettres Françaises publiées à Buenos Aires, puis la collection "La Croix du Sud" de Gallimard ont permis la diffusion de nos plus grands auteurs en Argentine et en France.

 

Dans les années 1960, puis dans les années noires de la dictature militaire, la France a accueilli sur son territoire un grand nombre d’intellectuels et artistes argentins. Certains ne sont restés qu’un moment, d’autres se sont installés. Nous pouvons évoquer Julio Cortazar, dont nous célébrons cette année le centième anniversaire de la naissance, mais aussi Hector Biancotti, devenu membre de l’Académie française, ainsi que Copi, Juan José Saer et, plus récemment, Laura Alcoba, Alicia Dujvone-Ortiz ou Silvia Baron Supervielle, qui écrivent en français.

 

Un contexte favorable : la vitalité du milieu éditorial argentin

L’édition argentine est, quelques années seulement après la crise économique, un modèle de réussite. La vitalité des maisons d’édition argentines et la présence importante de maisons d’édition indépendantes (Ediciones de la Flor, Adriana Hidalgo, Manantial, Cuenco del Plata, Eterna Cadencia, pour n’en citer que quelques-unes) sont des caractéristiques du marché argentin. Les éditeurs de ces maisons sont en général francophiles, souvent francophones et désireux

de traduire des textes de littérature et/ou de sciences humaines et sociales. Le Plan d’Aide à la Publication Victoria Ocampo est un outil apprécié des maisons d’édition argentines. Depuis sa création en 1984, plus de 800 titres ont été soutenus, faisant de ce programme l’un des plus dynamiques d’Amérique latine. La qualité des traducteurs, le réseau dense des librairies indépendantes, en particulier à Buenos Aires, la qualité de l’enseignement des universités publiques gratuites sont autant de facteurs qui peuvent expliquer le nombre de textes français traduits en Argentine. Près de 190 titres ont été cédés en traduction aux éditeurs argentins en 2012, ce qui fait de l’Argentine le second pôle de traduction vers l’espagnol après l’Espagne.

En Argentine, le français occupe la troisième place des textes traduits (après l’anglais et le japonais – grâce à la traduction des mangas –, avant l’italien ou le portugais).

 

Les sciences humaines et sociales : spécificité du livre français traduit

Les maisons d’édition et les lecteurs argentins ont accordé et accordent encore à nos penseurs et intellectuels une attention qui ne faiblit pas. Les philosophes, anthropologues, sociologues, historiens, essayistes, psychanalystes français sont donc très présents dans les rayons des librairies.

De nombreuses personnalités (juristes, sociologues, politologues, économistes) se rendent régulièrement en Argentine, invitées par les plus grandes universités. À titre d’exemple, ces trois dernières années : Alain Badiou, François Dubet, Jacques Rancière, Marc Augé, Pierre Rosanvallon, Jacques Revel se sont rendus en Argentine pour rencontrer un public universitaire toujours intéressé par nos intellectuels.

L’ambassade travaille en lien avec le Centre franco-argentin des hautes études, pour que les éditeurs argentins accordent une importance aux nouvelles générations d’intellectuels.

 

La littérature, freinée par le marché espagnol

Nous pouvons constater que la littérature du XVIIIe au XXe siècle (de Montaigne à Robbe-Grillet en passant par Flaubert, Stendhal ou Duras) est bien diffusée en librairie et connue par le lectorat argentin, qui bénéficie de traductions régulièrement réactualisées.

Néanmoins, la fiction actuelle n’est pas toujours bien représentée sur les tables des libraires. Si certains auteurs reçoivent un bel accueil de la presse et du public (Delphine de Vigan ou Emmanuel Carrère en 2013, mais aussi Michel Houellebecq, Amélie  Nothomb  ou Fred Vargas), de nombreux auteurs, bien que traduits vers l’espagnol, ne sont pas disponibles en Argentine.

 

Ainsi, si l’orientation prise dans le secteur des sciences humaines et sociales relève du goût prononcé des Argentins pour ces matières, elle est également le fruit d’une réalité. En effet, les éditeurs argentins pourraient faire preuve du même enthousiasme pour la littérature et la fiction si les éditeurs français ne vendaient pas les droits étrangers pour la langue espagnole, de manière exclusive, à l’Espagne. Si les grands groupes de presse espagnols disposent de succursales en Argentine, ils ne commercialisent pas pour autant tous les titres traduits.

 

Enfin, les petites maisons d’édition argentines aux économies parfois précaires n’ont pas les moyens d’acheter les droits parfois élevés dans le domaine de la littérature, mais nous pouvons signaler que certains titres de Jean Echenoz, J. M. G. Le Clézio, Pascal Quignard ou Marie Darrieussecq ont toutefois pu être traduits en Argentine.

 

Le développement de la littérature jeunesse et de la bande dessinée

La littérature jeunesse est, en Argentine, en pleine expansion. Presque toutes les maisons d’édition de taille moyenne développent une collection jeunesse dans leur catalogue (Adriana Hidalgo, Fondo de Cultura Económica…). Des auteurs ou illustrateurs argentins de renom sont reconnus au niveau international (Liliana Bodoc, Isol, Inés Garland). Les échanges entre maisons d’édition françaises et argentines mais également la venue d’auteurs ou illustrateurs français pourraient être développés lors des événements dédiés au secteur (Feria  infantil y juvenil ou Filbita).

 

Dans le domaine de la bande dessinée et du roman graphique, les ouvrages français sont encore peu traduits. En effet, les circuits de distribution sont différents de ceux utilisés par la librairie traditionnelle, dans la mesure où les bandes dessinées s’achètent en général dans les kiosques à journaux ou en librairies spécialisées. Nous pouvons toutefois constater que certaines librairies créent désormais des espaces dédiés à ce secteur. Le renouveau du festival de la bande dessinée, soutenu par le secrétariat d’État à la Culture et la Fondation Exportar, a permis la mise en place de journées professionnelles et la venue en Argentine d’éditeurs français (Dargaud notamment).

 

Isabelle Berneron, adjointe pour la promotion et la diffusion du livre français


Isabelle Berneron, adjointe pour la promotion et la diffusion du livre français

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