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Portrait et entretien de professionnel

Entretien avec Sophie Hofnung et Bertille Amortegui, L'école des loisirs

mars 2014

Sophie Hofnung, traductrice et collaboratrice éditoriale pour L’école des loisirs et Bertille Amortegui, responsable des droits étrangers pour l’Espagne et l’Amérique latine, répondent aux questions du BIEF.

À la fin de l’entretien avec Sophie Hofnung, le dernier roman de l’auteur argentin Inés Garland, dont elle est la traductrice, vient d’arriver, tout frais imprimé, prêt à défendre les couleurs de l’édition jeunesse en Argentine, pays invité d’honneur du Salon du livre de Paris. Destiné à un public adolescent et "young adults", Pierre contre Ciseaux (Piedra, papel o tijera, publié à l’origine par Alafaguara) a été un véritable coup de cœur que Sophie Hofnung a partagé avec Geneviève Brisac, la directrice des collections de romans de L’école des loisirs, avec le sentiment de détenir une œuvre unique, forte, originale.

 

"C’est un roman d’apprentissage, la traversée d’une adolescence et le passage à l’âge adulte pendant les années noires de la dictature militaire en Argentine", explique-t-elle. "La découverte de l’amitié et de l’amour, l’appartenance à un groupe, l’éveil à la sensualité mais aussi à la conscience politique : autant de questions adolescentes universelles qui s’inscrivent ici dans l’histoire spécifique de l’Argentine, dans un style très maîtrisé, tout à la fois incisif et poétique. Des qualités que l’on retrouve chez nombre d’auteurs jeunesse argentins."

 

À L’école des loisirs, il n’y a pas de collection consacrée aux romans étrangers, les choix éditoriaux ne reposant sur aucune recherche d’exotisme ou de thématiques particulières. "Ce sont la qualité littéraire (avant tout), l’intérêt de l’histoire et la prégnance des personnages qui sont déterminants. Mais si, comme celui d’Inés Garland, un livre peut ouvrir sur le monde, susciter la curiosité pour l’autre et éveiller les consciences, c’est tant mieux !", précise Sophie Hofnung.

 

Les auteurs argentins sont présents depuis 2008 dans le catalogue des romans de L’école des loisirs avec quatre livres – dont un en cours de traduction – de Norma Huidobro, édités par SM et Norma, et parus en français dans la collection "Neuf". Ces romans policiers pour les 9-12 ans, espiègles et efficaces, ancrés dans le quotidien des enfants argentins, ont su trouver et fidéliser leur public en France.

 

Cette auteure, traduite par Myriam Amfreville, a été découverte grâce à son agente, Irène Barki, installée à Buenos Aires. Quant au roman d’Inés Garland, déjà remarqué en dehors des frontières argentines par son succès en Allemagne, Sophie Hofnung l’a rapporté d’un atelier de traduction et d’édition de littérature jeunesse "Traduire l’imagination", organisé par la Fondation TYPA en juillet 2013, dans le cadre de la 23e Foire du livre pour la jeunesse de Buenos Aires, auquel participaient des éditeurs argentins comme Alfaguara, Pictus ou La Bohemia.

 

Les traductions représentent 10% de la totalité de la production de L’école des loisirs, les auteurs de pays hispanophones y sont peu nombreux, mais l’intérêt pour la production jeunesse d’Amérique latine en général et d’Argentine en particulier est bien là. "N’oublions pas que les deux plus grandes récompenses jeunesse internationales ont tout récemment distingué la richesse et la vitalité des auteurs argentins avec le prix Andersen remis en 2012 à M.-T. Andruetto et le prix Alma décerné à Isol en 2013", fait remarquer Sophie Hofnung.

 

L’invitation de l’Argentine à Angoulême, la présence d’écrivains jeunesse, telles Inés Garland et Liliane Bodoc (publiée par Le Seuil jeunesse), au Salon du livre sont des occasions de continuer "ce grand chantier" qu’est la découverte de cette production très vivante.

 

Des choix littéraires en écho

Au sein du service des droits étrangers, l’intérêt pour l’Argentine n’est pas nouveau. Bertille Amortegui, responsable des cessions pour l’Espagne et l’Amérique latine, a habité Buenos Aires pendant un an où elle a notamment travaillé pour la Marca Editora. C’est donc tout naturellement qu’elle a poursuivi les échanges avec ce pays en arrivant à L’école des loisirs, en étroite collaboration avec l’agente Isabelle Torrubia.

 

"Pour le marché hispanophone, la question de territoire est souvent centrale lors d’une négociation de cession de droits, les éditeurs espagnols exigeant la plupart du temps les droits mondiaux. Or, de nouvelles donnes ont modifié les tendances ces dernières années et permettent l’ouverture à plus de cessions en direct avec les éditeurs argentins", constate Bertille Amortegui. "La crise économique en Espagne a entraîné une chute des achats de droits et les cessions qui se concluent se limitent de plus en plus, en termes de territoire, à l’Espagne. D’autre part, les mesures protectionnistes du gouvernement argentin compliquent, voire interdisent fermement l’importation de livres."

 

Parallèlement à ces questions économiques, les problèmes linguistiques liés à la traduction dans un "espagnol neutre", destinée à faciliter la circulation du livre dans la grande étendue hispanophone, se trouvent amplifiés dans le secteur de la jeunesse. Les tout-petits doivent pouvoir s’identifier dans une histoire grâce à un vocabulaire évocateur de leur quotidien.

Nombreuses sont les initiatives gouvernementales et privées pour appuyer la création éditoriale locale et encourager les achats de droits. Un programme, destiné à permettre une distribution gratuite d’ouvrages dans les écoles, peut occasionner des tirages jusqu’à 200 000 exemplaires. Toutefois, lors d’une cession "nous ne souhaitons pas que le choix de l’un de nos titres se fasse uniquement en fonction des critères pédagogiques de sélection de ces programmes. Il est important que le livre s’inscrive dans la durée d’un catalogue et dans un réseau de vente traditionnel en librairie", précise Bertille Amortegui.

"Nous avons cédé les droits de traduction d’albums, comme Mäko de Julien Béziat (Pastel) à Adriana Hidalgo et, aux éditions Colihue, ceux d’une pièce de théâtre, La jeune fille, le diable et le moulin d’Olivier Py, et d’un roman La liberté est une poussière d’étoiles de Nathalie Kuperman, à la frontière de la littérature, de la philosophie et du conte, une littérature pour la jeunesse qui fait écho à la leur."

 

"Les éditeurs argentins avec qui nous travaillons viennent vers nous pour trouver la force d’une histoire et de ses personnages, ils sont sensibles à la qualité d’un style, à son pouvoir d’évasion. Autant de points qui caractérisent le catalogue de l’école des loisirs", commente Bertille Amortegui. "Nos échanges avec ce marché diversifié et riche sont encore singuliers, et nous espérons que la voix de nos auteurs puisse plus largement se faire entendre auprès des jeunes Argentins."


Propos recueillis par Catherine Fel

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