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Compte rendu

Des rencontres franco-libanaises d'éditeurs de jeunesse au Salon du livre francophone de Beyrouth

janvier 2014

[2 novembre 2014]
Dix jours durant, conférences, animations, rencontres avec les auteurs de langue française se sont succédé au cours d’un programme établi conjointement par les organisateurs – dont l’ambassade de France, pour qui la manifestation illustre bien la présence culturelle de la France au Liban, pays membre de la francophonie.


Pour sa 20e édition, le Salon du livre francophone qui s’est tenu à Beyrouth du 1er au 10 novembre 2013 a mis l’Académie française à l’honneur. Une manière de rendre hommage à la langue et à la littérature française, dont  ce salon se veut une des principales vitrines hors de France. Dix jours durant, conférences, animations, rencontres avec les auteurs de langue française se sont succédé au cours d’un programme établi conjointement par les organisateurs – dont l’ambassade de France, pour qui la manifestation illustre bien la présence culturelle de la France au Liban, pays membre de la francophonie.

 

Cette année encore, le public était au rendez-vous ainsi que les ventes, comme en ont témoigné les principaux libraires de Beyrouth qui animaient les différents stands. Pourtant, cette affluence du salon était, aux yeux de certains observateurs, trompeuse – dissimulant à la fois un marché atone et une francophonie en repli. Il est vrai que la situation politique et les événements dans la région viennent s’ajouter aux difficultés liées à la crise économique. Le sentiment qui domine est celui d’une vie au jour le jour, sans perspective.

 

L’éducation et la culture demeurent des valeurs refuges, mais cela passerait de moins en moins par la langue française, au dire des professionnels présents. Ce contexte a été largement évoqué au cours de la journée des Rencontres franco-libanaises sur l’édition jeunesse, qui s’est tenue le 2 novembre, à l’initiative du BIEF, de la Maison du livre et de l’ambassade de France au Liban. Elle venait compléter la journée professionnelle, au cours de laquelle les tables rondes avaient concerné d’autres sujets : la littérature, le marketing dans l’édition ou encore le livre numérique.

Ces différents rendez-vous avaient pour objectif d’attirer, au-delà des professionnels habitués du salon – pour l’essentiel les libraires distributeurs et les éditeurs libanais francophones ainsi que leurs partenaires français –, des éditeurs étrangers : de France, mais également du Proche et Moyen-Orient.

 

Une plate-forme d’échanges entre éditeurs français et arabes

Telle était l’idée en réunissant pour la première fois à Beyrouth des éditeurs de jeunesse français et libanais arabophones : Marie Lallouet (Bayard), Karine Leclerc (P’tit Glénat), Marguerite Tiberti (Le Ricochet) et sept éditrices libanaises* pour une journée en deux temps.

Tout d’abord, celui de présentations croisées sur le marché du livre de jeunesse dans chacun des deux pays. Marie Lallouet a souligné, chiffres à l’appui, l’importance du secteur jeunesse en France (dans sa production et son lectorat), mais également son ouverture à l’international, comme en témoigne le nombre de titres traduits dans ce secteur. Pour le Liban, Michel Choueiri (de la Librairie El Bourj) a mis en évidence, en dépit de l’absence de données statistiques, le sentiment d’une progression de l’édition jeunesse en langue arabe, en nombre de titres et en qualité éditoriale, mais aussi la grande difficulté pour les éditeurs libanais de s’appuyer sur un marché solide. Les éditrices libanaises présentes ont, elles, fait part de leur dépendance vis-à-vis des établissements scolaires et de la nécessité aussi de prendre en compte toutes les sensibilités, limitant d’autant les choix éditoriaux. La diffusion au-delà du Liban, dans les pays arabes voisins, reste également très compliquée, pour des raisons de conjoncture mais aussi de contenus éditoriaux.

 

Une ouverture

On comprend mieux l’espoir que suscitent les marchés français et européens pour des éditeurs libanais arabophones. Cette question de l’ouverture à l’international et de la possibilité de vendre des droits à des éditeurs en France a constitué la seconde partie du programme. Partant de son expérience de coédition avec les éditions Hatem au Liban, Marguerite Tiberti a rendu compte de ce qui conditionne la collaboration entre deux maisons d’édition. "Quand il y a affinité de catalogue, les éditeurs français achètent des créations à l’étranger, y compris dans le domaine de l’album." Mais elle a pu constater, en sens inverse, que "les éditeurs libanais aussi ont posé la question en termes d’affinité de catalogue, soulignant que parfois nos productions sont trop exigeantes pour eux".

 

Du côté des éditrices libanaises présentes, comme pour Nadia Alameh, de Dar Al Hadaek, "il s’est avéré très utile de mieux connaître les expériences des éditrices françaises et leurs méthodes pour acheter et vendre des droits." Et de souhaiter aussi aller plus loin, par exemple en travaillant sur des spécimens de contrats "pour mieux collaborer avec des éditeurs français mais aussi européens".

 

Une prochaine étape pourrait ainsi se dérouler en 2014 sous la forme d’une rencontre-atelier, à l’occasion du Salon du livre de Paris ou à Montreuil. Avec ses collègues libanaises, Nadia Alameh souhaite la constitution d’un groupe de travail pour suivre ce projet, en relation avec la Maison du livre et le Bureau du livre de l’ambassade de France au Liban.

 

* Nadia Alameh, Dar Al Hadaek • Marwa Bitar, Academia International et Dar Al Kitab Al Arabi • Thérèse Douaihy Hatem, Éditions Hatem • Nina Farès, Dar Asala • Soraya Mezher, Dar El Ilm Lilmalayin • Aline Abou Saad, Éditions Hachette Antoine • Nadine Touma, Dar Onboz

 

Pierre Myszkowski

 

 

Lendemains de Beyrouth

 

Marguerite Tiberti, Le Ricochet

"Cette escale à Beyrouth a été, pour moi, l’occasion de conforter la collaboration avec les Éditions Hatem, qui ont déjà publié trois de nos albums en langue française avec un accompagnement pédagogique créé au Liban. Lors de ma visite au salon, il m’avait semblé que certaines publications de Samir Éditeur (bilingue) pourraient s’intégrer à notre catalogue. L’éditeur préfère tenter une diffusion autonome de ses titres en France. À l’instar des éditeurs français qui diffusent leurs livres au Liban."

 

Karine Leclerc, P’tit Glénat

"Dans mes rencontres avec les éditeurs, j’ai été surtout frappée par la diversité des acteurs et des problématiques du marché libanais. Les catalogues jeunesse et les lignes éditoriales semblent en effet le reflet d’un positionnement par rapport aux acteurs de la prescription (État, Éducation nationale…).

Nos échanges ont permis de mettre en avant une grande ouverture des Libanais vis-à-vis de nos publications et nous ont permis de prendre connaissance d’un éventail large et varié de publications jeunesse, notamment les éditions Dar on Boz de Nadine Touma. Sans oublier, toutefois, l’existence de paramètres liés à la censure à l’œuvre : dimension explicitement pédagogique, exclusion de certaines thématiques, représentation de certains personnages…"

 

Marie Lallouet, Bayard

"Beyrouth, carrefour du Levant… Magnifique lieu commun auquel il est assez difficile d’échapper tant la ville, organisée autour de trois langues (arabe, français, anglais), lui semble fidèle. Y passer trois jours relativise le niveau de l’expertise, mais visiter ses belles librairies en dit beaucoup sur la physionomie éditoriale de l’endroit. Ici, la concurrence entre l’importation (de livres anglais et français) et la création nationale est très concrète.

Et ce qui pourrait venir enrichir (trilinguisme) semble plus volontiers diviser (répartition du pouvoir d’achat entre importateurs et éditeurs). Il n’empêche, rencontrer les éditeurs libanais d’Hachette Antoine, de Dar Onboz (déjà primé à Bologne) ou d’Académia laisse deviner que ces frontières complexes travaillent.

Une édition jeunesse libanaise encore très agrafée au monde scolaire (la nôtre aussi vient de là…) ; une édition en langue arabe pour laquelle s’exporter dans les autres pays de ce formidable bassin linguistique n’est pas si simple ; un savoir-faire de fabrication éprouvé ; un relatif isolement de chaque maison d’édition ; une timidité à l’égard des sujets qui fâchent (la littérature naissante des adolescents, peu de livres sur le passé récent du Liban, comme s’il ne s’était rien passé depuis les Phéniciens) ; une réflexion sur la typographie de l’arabe… Notre journée de travail a mis au jour beaucoup de difficultés, mais aussi beaucoup d’envie."

 

Propos recueillis par Pierre Myszkowski



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