Articles

Imprimer Partager sur Facebook Partager sur Twitter Partager sur LinkedIn

Compte rendu

Journées franco-russes des éditeurs de jeunesse et de bande dessinée à Moscou

juillet 2013

[6-7 juin 2013]
Editeurs de jeunesse russes et français ont échangé sur leurs métiers et leurs perspectives de partenariats, à l'heure où ce secteur connaît en Russie un certain recul et un encadrement de publication plus restrictif.

Après les Rencontres d’Istanbul et de Londres en 2012, le BIEF et le Service culturel de l’Ambassade de France à Moscou ont réuni les éditeurs russes et français de jeunesse et de bande dessinée les 6 et 7 juin derniers dans le cadre de l’Open Air Festival. Anastasia Lester, agente pour plusieurs d'entre eux, et également bien connue des éditeurs français de littérature, avait apporté son expertise et sa connaissance du marché de l'édition russe pour encourager les éditeurs russes à participer à la rencontre et monter le programme des tables rondes.

 

La première intervention de la matinée du jeudi 6 juin a porté sur la présentation des marchés du livre jeunesse dans nos deux pays. Olga Muravieva, du groupe d'édition AST, a dressé un portrait contrasté du secteur : même si la demande en livres jeunesse progresse et si l'ensemble des éditeurs s'intéresse beaucoup à ce segment, le secteur connait une crise importante. Selon elle, les parents, acheteurs de livres, sont aujourd'hui encore à la recherche d'ouvrages du "patrimoine" ou d'auteurs connus, laissant donc peu de chance à la jeune création de se faire une place dans le paysage éditorial.

 

Le table ronde sur les échanges entre éditeurs russes et français a réuni Anne Bouteloup (Gallimard jeunesse), Éloïse Elandaloussi (Albin Michel jeunesse), Irina Balakhonova (Samokat) et Anastasia Lester. Cette dernière a néanmoins rappelé que les éditeurs russes, qui connaissent bien leur lectorat et leur marché, tirent aussi leur épingle du jeu en éditant des ouvrages de jeunesse aussi audacieux, dont certains sont le fruit d'achats de droits ou de coéditions.

 

À cet égard, Tatiana Vaniat, également agente, a rappelé les trois vertus que les éditeurs russes apprécient particulièrement dans leurs échanges avec les éditeurs français : "confiance, tolérance et souplesse".

Dans le secteur de la jeunesse, qui occupe la troisième place en nombre d’exemplaires publiés en Russie (après l’éducation et la littérature), ces qualités sont rendues indispensables du fait sans doute d’un environnement économique encore marqué par la crise de 2008. Les éditeurs ont toujours à l’esprit la faillite en 2011 du réseau de distribution Topkniga et, si les plus grosses entreprises (Eksmo, AST, Rosmen…) ont pu s’appuyer sur leur propre structure de distribution, les éditeurs indépendants jeunesse se sont résignés à confier leur distribution à de petits grossistes et à dépendre ainsi des pratiques de prix souvent aléatoires (dans un pays où le prix de vente est fixé par le revendeur). La baisse des ventes et des tirages, le changement dans les pratiques de lecture, les assortiments en librairie qui font de plus en plus la part belle aux autres produits que le livre sont autant d’aspects qui affectent l’édition jeunesse en Russie.

 

Mais la préoccupation du moment vient plus encore de l’appareil législatif et règlementaire qui encadre l’activité d’édition. Cette question des normes nouvelles à respecter a constitué le fil rouge des discussions qui ont animé ces rencontres. Certes, des normes sanitaires (et contrôlées par le ministère de la Santé) ont depuis toujours été édictées, même une fois l’époque soviétique révolue. Elles imposent aux éditeurs russes des contraintes graphiques et une longueur du texte en fonction de l’âge des jeunes lecteurs. Mais le texte récent (daté de décembre 2010 et mis en place en septembre 2012), initié par Pavel Astakhov, le "défenseur des enfants russes", définit aussi par tranche d’âge le type d’information autorisé et la manière dont ces informations doivent être traitées. Il en va ainsi du sort de livres qui évoquent des sujets tels que la violence, les rapports parents-enfants, la sexualité ou le corps humain…

Ce contexte affecte bien entendu les lignes éditoriales et conditionne les achats de droits auprès des éditeurs étrangers et plus encore les projets de coéditions.

 

Les éditeurs français qui travaillent en Russie sont devenus familiers des pictogrammes imposés par la loi et qui figurent obligatoirement sur la couverture des livres : +6, +12, +16 et le plus souvent +18, pour être sûr de rentrer dans le champ de la loi ! Un règlement récent, douanier cette fois-ci, encadre l’aspect visuel des livres (mise en page, espacement des caractères, papier) et risque de "bloquer" davantage encore les éditeurs russes dans leurs échanges avec des éditeurs étrangers… notamment pour les coproductions qui, souvent, demeurent le seul moyen de concevoir des projets impossibles à réaliser par les imprimeurs locaux.

 

Profitant de l’occasion de ces rencontres, les éditeurs russes ont aussi échangé entre eux à propos de l’application encore confuse de ces lois. Olga Muravieva, interpellée par Irina Balakhonova pour savoir ce qu’il en était du contrôle des livres coédités et imprimés à l’étranger, a souligné qu’elle attendait elle aussi de voir !

 

Pour autant, les éditeurs russes présents aux rencontres ont été unanimes, selon leurs confrères en France, à vouloir poursuivre les échanges et les projets de coopération. Pour Rosovi Girafe (La Girafe rose), cette loi aux contours confus "ne doit pas nous empêcher de prendre le risque d’éditer".

 

La visite de la librairie Mockba a permis ensuite de prendre la mesure de la place des titres français dans les rayons de livres jeunesse. Et parmi les ouvrages largement exposés, on pouvait trouver des bandes dessinées traduites, des documentaires et ouvrages éducatifs, comme la traduction de Dis-moi pourquoi ? (Larousse), "Livre du mois" mis en avant par les responsables de la librairie, ainsi que les livres de Rebecca Dautremer ou encore ceux de Benjamin Lacombe. Pour L’herbier des fées, livre-objet avec découpes et calques, Éloïse Elandaloussi (Albin Michel jeunesse) a présenté les avantages d’une coédition avec Azbooka-Atticus, tout en rappelant sa complexité liée aux contraintes législatives. Après plusieurs mois de discussions, ce sont finalement deux contrats qui ont vu le jour, un pour la cession des droits et l’autre pour la fabrication. Un exemple parmi d’autres de "confiance et de souplesse".


Pierre Myszkowski, Anne Riottot

Précédent Suivant