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Portrait et entretien de professionnel

La Foire de New Delhi 2013 : la parole aux professionnelles des droits

février 2013

De retour de la Foire du livre de New Delhi, les responsables de droits Fabiana Angelini (Autrement Jeunesse, Casterman-Flammarion/Père Castor) et Anne Risaliti (Hatier et Didier Jeunesse) ont souligné l’étendue et la complexité du marché indien, aussi bien dans sa culture éditoriale que dans ses attentes par rapport au marché français.

De retour de la Foire du livre de New Delhi, les responsables de droits Fabiana Angelini (Autrement Jeunesse, Casterman-Flammarion/Père Castor) et Anne Risaliti (Hatier et Didier Jeunesse) ont souligné l’étendue et la complexité du marché indien, aussi bien dans sa culture éditoriale que dans ses attentes par rapport au marché français.
 
BIEF : Quels étaient vos objectifs en vous déplaçant à la Foire du livre de New Delhi ?
 
Fabiana Angelini : L’envie de découvrir un marché, son étendue et ses limites, mais aussi le développement des échanges épistolaires avec les éditeurs indiens ont été les principales raisons de ma venue sur cette foire, où la France était l’Invitée d’honneur.
Ces deux dernières années, j’ai eu l’impression que ce marché commençait à bouger en dehors de son traditionnel rattachement à la Grande-Bretagne. Il y a quelques mois, j’ai signé un contrat pour la cession de droits de livres d’activité. Rencontrer un maximum d’éditeurs indiens, évaluer de près le marché, vendre les droits de Martine pour essayer d’être présent sur le marché anglais via l’Inde étaient les objectifs que je m’étais fixés… et que j’ai atteints.

Anne Risaliti : Ce marché m’était complètement inconnu. J’avais envie de voir à quoi ressemblait l’édition indienne, autrement qu’en surfant sur les sites des éditeurs. Grâce à l’aide de Judith Oriol (ambassade de France à New Delhi), qui m’a fourni les noms de quelques éditeurs indiens que je pouvais contacter, j’ai pu organiser des rendez-vous avec nos confrères. Mon objectif était bien évidemment de nouer des relations qui pourraient donner lieu à des achats de droits.
 
 
BIEF : Quelles sont les attentes des éditeurs indiens en matière d’achats de droits ? Quels sont les sujets et styles de livre recherchés par ces derniers ?

Fabiana Angelini : Le style graphique de nos trois catalogues semble leur avoir bien plu. Les éditeurs indiens souhaitent exclusivement des ventes de droits et non pas des coéditions, principalement à cause du prix de vente très bas. L’obtention d’une aide à la traduction pour des textes longs peut être décisive dans leurs choix. Ils souhaitent souvent acquérir les droits pour quatre ou cinq langues du pays, en plus de la langue anglaise. Celle-ci leur permet de vendre nos ouvrages dans d’autres territoires, tels que le Pakistan, le Sri Lanka, le Bangladesh, le Népal, la Malaisie, les Philippines, l’Arabie Saoudite et certains pays africains. À part l’anglais, les langues les plus demandées sont l’hindi et le malayalam et le tirage moyen proposé par langue est de 3 000 à 5 000 exemplaires.
Ce sont les livres d’activité, les documentaires et les livres avec un enseignement moral qui intéressent le plus les éditeurs indiens, en correspondance avec les attentes des parents, prêts à dépenser de l’argent pour cela. Il semble aussi que l’émancipation des femmes soit un sujet très recherché, aussi bien dans le secteur jeune adulte que dans celui de la petite enfance. Sur la foire, un éditeur a mentionné comme exemple un livre suédois qui a un énorme succès en Inde, Mamma Muu, histoire d’une vache qui, au lieu de brouter de l’herbe, fait exactement ce qu’elle veut.
 
Anne Risaliti :
À ma grande surprise, tous les éditeurs indiens rencontrés apprécient le style graphique de nos albums. Ils semblent disposés à publier des ouvrages aux illustrations radicalement différentes de celles que l’on peut voir sur leurs stands. Contrairement aux éditeurs chinois, coréens ou japonais, les textes longs ne leur font pas peur. Ils publient en plusieurs langues dont, en premier, l’anglais puis l’hindi, le marathi, le télougou, l’ourdou, le bengali, le tamoul, le gujarati, le kannada, l’oriya... Le tirage moyen est de 2 000 exemplaires par langue et la durée d’un contrat de 2 à 3 ans. Enfin, l’achat de droits est soumis à une demande d’aide à la traduction ou à la publication. C’est une donnée importante pour décrocher un contrat.
 
 
BIEF : Quelles sont vos impressions générales sur cette foire et vos perspectives de collaboration avec les professionnels indiens ?
 
Fabiana Angelini :
J’ai trouvé la Foire du livre de New Delhi très bien organisée, avec de nombreux halls d’exposition à visiter. Cette manifestation est beaucoup plus étendue que je ne l’imaginais. Mes perspectives de collaboration avec les éditeurs indiens sont plutôt bien enclenchées : déjà un contrat en route et d’autres à venir.
 
Anne Risaliti : Le premier jour, alors que les éditeurs indiens ne venaient pas aux rendez-vous, je m’interrogeais sur la rentabilité de ce déplacement. Puis, je suis allée chercher les éditeurs sur leur stand et j’ai ainsi compris que le temps n’a pas la même valeur pour les Indiens que pour nous Occidentaux. Si l’éditeur indien se présente le lendemain du rendez-vous, ce n’est pas grave et presque normal. Ce qui est en revanche très surprenant, c’est la rapidité avec laquelle j’ai reçu, depuis mon retour, des mails relatant nos rencontres et confirmant l’intérêt pour tel ou tel titre. Une fois passée la déconvenue des rendez-vous manqués, je fonde de bons espoirs de collaboration avec les professionnels indiens. À suivre…
 
 
De leur côté, Benita Edzard (directrice des droits étrangers chez Laffont, Seghers, Julliard, NiL), Jennie Dorny (droits étrangers au Seuil) et Stefanie Drews (droits étrangers chez Stock) mettent l’accent sur les perspectives intéressantes qu’offre ce marché, tant pour les cessions en anglais que vers des langues régionales.

BIEF : À votre avis, que recherchent les éditeurs indiens en littérature et en sciences humaines ?
  
Benita Edzard : Outre les bestsellers, les éditeurs indiens sont en recherche principalement de romans historiques, de romans d’amour. J’ai remarqué également qu’ils n’étaient pas indifférents aux romans d’auteurs arabes.
 
Jennie Dorny : J'ai rencontré trois sortes d'éditeurs. Ceux qui publient exclusivement en anglais, ceux qui publient dans une langue régionale (bengali, tamoul, marathi, malayalam…) et ceux qui publient à la fois en anglais et dans une langue régionale. Il est difficile de généraliser, mais les éditeurs publiant en anglais et dans une ou plusieurs langues régionales cherchent les grands noms ou les romans très grand public. En revanche, les éditeurs ne publiant qu'en anglais s'intéressent à des romans parfois plus intimistes, du moment que leur portée reste universelle. La "narrative non-fiction", qui allie qualité littéraire et récit autobiographique ou non, m'a été demandée à plusieurs reprises. Les ouvrages ayant trait à l'Inde, que ce soit en fiction ou en non-fiction, suscitent également de l'intérêt.
 
Stefanie Drews : À part les classiques (modernes), les éditeurs sont intéressés par les ouvrages qui ont un lien direct avec l’Inde, soit comme lieu de l’action, soit via un personnage ou bien quand le sujet du livre est lié à l’Inde (culturellement, politiquement, etc.) ou à son histoire. Ceci explique aussi le grand intérêt pour les auteurs d’origine maghrébine.
 
 
BIEF : Vous avez participé aux tables rondes avec des éditeurs indiens. Qu’en avez-vous retiré ?
 
Benita Edzard : Ces tables rondes ont été l’occasion de constater que les éditeurs indiens sont de plus en plus ouverts et qu’ils s’émancipent de l’édition anglo-saxonne, tout en gardant des liens privilégiés avec elle. Au fur et à mesure de mes rendez-vous avec les éditeurs indiens, je me suis aperçue d’un réel intérêt pour l’édition française et j’ai vraiment envie de développer la cession des droits en hindi par la voie numérique. C’est un pays jeune où une grande majorité de la population est équipée de téléphones portables. Comme d’autres pays d’Asie, l’avenir de la lecture se fera plus sûrement via le téléphone que par des tablettes ou liseuses.
 
Jennie Dorny : Le marché indien est à la fois immense et complexe, avec ses vingt-huit langues officielles. Le marché intérieur est très compétitif, même si la lecture n'est pas encore très développée (65% de la population est considérée comme lettrée, c'est-à-dire sachant lire et écrire son nom). 100 000 livres nouveaux paraissent tous les ans, dont 23 500 en anglais. Sudhir Malhotra, président de la Fédération des éditeurs indiens, a fait remarquer lors de son intervention qu'une étude datant de mars 2012 indiquait que l'Inde et le Brésil sont les deux pays où le potentiel est le plus grand pour le numérique. 98% de la population indienne possède un téléphone portable, et c'est par ce biais que l'édition électronique est envisagée. Il était intéressant de constater que pour ce qui est des sciences humaines et sociales, ce sont, comme en France, avant tout les maisons généralistes qui publient dans ces domaines.
 
Stefanie Drews : Les discussions ont montré les grandes différences entre les deux marchés et une grande curiosité, aussi bien du côté indien que français pour en comprendre le fonctionnement, les qualités et les difficultés.
 
 
BIEF : Quelles sont les perspectives en termes d’échanges de droits ?

Benita Edzard : Lors de mes rendez-vous, j’ai trouvé les éditeurs indiens très dynamiques et d’un relationnel très agréable. La plupart d’entre eux publient simultanément en anglais et dans une autre langue, souvent l’hindi. Cela peut être une belle opportunité pour les éditeurs français pour s’assurer une présence sur le marché anglo-saxon.
 
Jennie Dorny :  D'un point de vue économique, l'Inde s'apparente à certains pays de l'Est européen. En effet, les prix de vente des livres oscillent entre 195 roupies (2,60 €) et 295 roupies (4 €). Les livres produits sont de qualité, et les éditeurs indiens s'intéressent à des domaines divers en non-fiction : anthropologie, sciences sociales, philosophie, économie. Le fait que de nombreux éditeurs publient en langue anglaise donne des ouvertures pour cette langue, sans fermer pour autant les marchés britannique et américain. Pour les éditeurs de langues régionales, il est parfois nécessaire de passer par le biais d'une traduction déjà existante en anglais pour que le livre soit lu, mais cela ouvre des perspectives intéressantes.
 
Stefanie Drews : Je pense qu’il y a un grand potentiel pour les échanges de droits avec les éditeurs indiens, notamment en ce qui concerne les traductions en langues locales. Comme il s’agit d’un marché qui n’en est qu’à ces débuts, en ce qui concerne les traductions vers d’autres langues que l’anglais, les tirages seront petits au début mais les éditeurs indiens intéressés par la publication de traductions sont très motivés. En bon professionnels, ils connaissent bien leurs lecteurs potentiels. Au début, ce sera probablement plus facile de faire traduire des récits et des ouvrages de sciences humaines où l’intérêt pour un sujet commun peut faciliter l’introduction d’un ouvrage français sur le marché indien.
 


Propos recueillis par Christine Karavias

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