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La bande dessinée dans les pays nordiques : des créations locales vivaces

avril 2011

Le 9e art dans les pays nordiques offre un panorama très contrasté, où la BD francophone classique qui a dominé un temps le marché doit, pour assurer sa présence, prospecter d'autres voies, notamment du côté du roman graphique.
Le 9e art dans les Pays nordiques offre un panorama très contrasté entre la peu peuplée Islande, l’atypique Finlande et la Scandinavie, formée par la Suède, la Norvège et le Danemark, pays qui ont, par rapport à la BD, une histoire commune mais aussi différenciée, dans laquelle Disney apparaît comme le principal fédérateur depuis le début des années 1930.
La bande dessinée francophone y joue cependant sa partition.

Il y a véritablement une offensive des Pays nordiques dans ce secteur en France depuis une dizaine d’années. Que ce soit grâce à la très proactive Finlande et à sa Conseillère culturelle à Paris, Kirsi Kinnunen, qui a soutenu la présence de la Finlande au dernier Festival d’Angoulême ; aux très volontaires Norvégiens Svein Eric Søland, francophile patenté et diplômé de la Sorbonne, Senior Editor chez Egmont, et Jason, auteur nominé plusieurs années de suite à Angoulême ; aux Suédois Max Andersson, Lars Sjunnesson et Gunnar Lundkvist, présents dans le catalogue de L’Association ; ou encore au Danois Peter Madsen, publié chez Delcourt. Sans omettre une première équipée des BD « vikings » au Centre national de la BD et de l’image et au musée du Papier à Angoulème en janvier 1997, où quatre auteurs de chacun des cinq pays nordiques ont été exposés, un système de parité qui avait quelque peu choqué les auteurs scandinaves.

La situation de la BD francophone sur les marchés nordiques
Longtemps, la BD dans les pays du Nord s’est résumée à Walt Disney, en particulier grâce à la licence qu’Egmont, le géant danois, qui contrôle depuis les années 1930 : « Nous éditons principalement Disney dans le nord de l’Europe, en Russie et en Chine », témoigne Svein Eric Søland. « Mon rôle est d’être responsable des publications norvégiennes et, en même temps, d’assurer une coordination des coproductions dans les autres pays ». Ainsi, le magazine Donald se fait-il à Oslo. Mais les dessins sont pour la plupart produits à Copenhague, au rythme de 4 à 5 000 pages de Donald ou de Mickey tous les ans depuis la fin des années 1960…
 
C’est précisément une baisse des productions Disney venues des États-Unis, résolue entre-temps par la création de studios européens, qui poussa Egmont à s’intéresser aux productions franco-belges. Ainsi, Egmont publia-t-il Le Journal de Tintin sous le titre de Tempo. On y trouvait Michel Vaillant, Dan Cooper, Ric Hochet, etc. Tintin d’Hergé était quant à lui déjà connu depuis l’entre-deux-guerres grâce à sa “syndication” dans les grands quotidiens scandinaves.
 
On l’aura compris, la BD est surtout présente en kiosque. Les albums ont prospéré entre 1970 et 1990, mais cet âge d’or est derrière nous : « en Scandinavie et dans les Pays nordiques », remarque Sophie Castille, qui représente les droits de Dargaud, Dupuis et Le Lombard, « les best-sellers de la BD franco-belge sont Astérix, Lucky Luke et, dans une moindre mesure Spirou, Petit Spirou et Gaston. Malheureusement, les ventes de ces séries ont drastiquement chuté depuis ces quinze dernières années. Au Danemark, le groupe Egmont a même décidé de passer la main sur ces séries en raison d’un déclin très conséquent de ses ventes en clubs. La Norvège est, de ces trois pays, celui qui résiste le mieux avec des tirages à la nouveauté pour Lucky Luke d’un peu plus de 10 000 exemplaires, soit au même niveau que la Finlande mais, toutefois, deux fois moins qu’il y a 10 ans. Le groupe Egmont continue à diffuser des séries ado-adultes en norvégien et en suédois dans ses magazines, où l’univers franco-belge (collection “Troisième vague” au Lombard, XIII et Thorgal) côtoie des séries américaines ».
 
La Finlande fait figure d’exception dans ce marasme. Sophie Castille considère que c’est l’émergence d’une production locale qui a permis cette vitalité : « les séries classiques se sont maintenues, pendant que le roman graphique se développait auprès de petites maisons d’édition indépendantes et de plus grandes telles que WSOY, qui publie notamment Larcenet .»
 
L’historien et essayiste suédois Fredrik Strömberg – auteur d’un essai sur La propagande dans la BD traduit en français aux éditions Eyrolles – le confirme : « en Suède, la BD franco-belge a disparu dans les années 1990, après avoir dominé ce marché dans les années 1970 et 1980. De rares traductions comme Persepolis de Marjane Satrapi ou les rééditions de classiques comme Astérix, Tintin ou Lucky Luke ont encore droit de cité. Récemment, la BD francophone revient sur ce marché, mais c’est à un rythme inférieur à 20 traductions par an ».
 
Strömberg remarque que la Finlande est le marché où les avant-gardes sont les plus dynamiques, en bon voisinage avec la BD commerciale traditionnelle. Un phénomène qui, par effet d’imitation, devient prescripteur dans les autres pays scandinaves, lesquels ont chacun leur tradition de BD. Ainsi, les personnages de Pondus et de Nemi (ce dernier publié en France par Bragelonne) sont de gros succès de presse en Norvège.
 
En Suède – où la création locale est de plus en plus vivace à la suite de la fondation d’une école de bande dessinée à Malmö, dont est issu le groupe qui anime la revue expérimentale C’est Bon (en français dans le texte) –, la BD est plus ouverte qu’avant aux thèmes politiques et sociaux, mieux acceptée en cela par les instances éducatives et gouvernementales, et par la presse suédoise. Strömberg note que le fait qu’il y ait plus d’auteurs féminins en Suède a été pour la BD un facteur d’augmentation du nombre de lectrices dans ce pays. Le Danemark est encore aujourd’hui le marché le plus déprimé de Scandinavie. Alors que la BD franco-belge y triomphait dans les années 1980, le marché y présente un encéphalogramme plat depuis plusieurs années, même si un sursaut a eu lieu ces derniers temps, mais les productions locales sont plutôt balbutiantes.
 
L’Islande est un marché si petit (la totalité de sa population ne dépasse pas celle d’une ville moyenne comme Malmö, troisième ville de Suède) que les auteurs ont des difficultés à percer. Seul Hugleikur Dagson a réussi à se faire traduire en anglais.
 
Un marché en évolution
Les Pays nordiques ont vécu une évolution comparable à celle de la plupart des pays occidentaux. Grâce à Maus d’Art Spiegelman, seul prix Pulitzer jamais décerné à une BD, le Graphic Novel, ou roman graphique, a pu conquérir la librairie généraliste, où, jusqu’à présent, elle n’entrait pas. Ce segment nouveau a permis, par exemple, le succès international d’un titre comme Persepolis de Marjane Satrapi et, en outre, l’émergence d’une création locale qui favorise le développement de la BD.
Dès lors, les valeurs traditionnelles sont battues en brèche en faveur d’un lectorat plus adulte, plus féminin, plus « arty », ce qui attire aussi une nouvelle catégorie d’auteurs. C’est d’ailleurs par cette voie que les auteurs nordiques nous arrivent en France.
C’est par ce même biais que des éditeurs comme Gallimard, Futuropolis ou L’Association arrivent à faire traduire leurs publications là-bas : « il y a 10 ans, on vendait surtout des albums franco-belges au format standard », nous dit l’agent Sylvain Coissard. « Ce n’est plus guère le cas, et on privilégie les intégrales avant tout. En revanche, des éditeurs plus littéraires sont entrés en jeu. Les tirages sont vraiment bas (autour de 1 000 exemplaires bien souvent) et les succès bien rares. Dans les dernières cessions que j’ai pu faire, on peut citer Yslaire (Futuropolis) au Danemark, Romain Hugault (La Boîte à Bulles) au Danemark et en Finlande, Sfar (Gallimard) en Suède, Durbiano (Gallimard) en Finlande, Aya de Yopougon (Gallimard) en Norvège, Suède et Finlande ; donc aussi bien du roman graphique que de la BD plus traditionnelle, même si c’est surtout RG de Frederik Peeters (Gallimard) qui est en pointe dans l’ensemble de ces pays ».
 
La percée des auteurs scandinaves en France : petit inventaire
Pour Fredrik Strömberg, parmi les pays nordiques, c’est sans aucun doute la Finlande qui compte le plus d’auteurs traduits en France, avec des artistes comme Ville Ranta (chez Dargaud et éditions Çà et Là) ou Matti Hagleberg (L’Association) et, bien entendu, le classique Moomin de Tove et Lars Jansson (Le petit Lézard), qui ont reçu un « fauve » à Angoulême en 2008.
 
Les auteurs suédois Max Andersson, Lars Sjunnesson et Gunnar Lundkvist, tous publiés à L’Association, ouvrent la voie à leurs compatriotes Joanna Hellgren (chez Cambourakis), Anneli Furmark (Actes Sud) ou Ola Skogäng, chez l’éditeur canadien francophone Les 400 coups.
Pour la Norvège, c’est incontestablement Jason qui emporte la palme avec une quinzaine de titres publiés en France, principalement chez Atrabile et Carabas, mais aussi récemment chez Dargaud. Plusieurs fois nominé à Angoulême, il réside désormais à Montpellier. Récemment, le personnage de Nemi, déjà évoqué plus haut, a été publié chez Milady, une filiale des éditions Bragelonne, et a fait des scores très honorables auprès d’un public féminin dévolu au rock gothique.
C’est Peter Madsen, qui a publié naguère Valhala chez Zenda, mais surtout les très remarqués Histoire d’une mère et Jésus de Nazareth chez Delcourt, qui représente le courant danois en France, tandis que les auteurs d’avant-garde de ce pays publiait l’anthologie Blaek chez Frémok.

En résumé, même si la BD classique a perdu un peu de terrain dans les Pays nordiques, elle continue à garder une présence notoire qui se traduit davantage aujourd’hui par un véritable échange, dans le domaine de ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui le roman graphique.

Didier Pasamonik

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