La principale caractéristique de l’industrie du livre turque repose essentiellement sur le lien étroit qui l’unit à la vie politique du pays.
Après l’instauration de la république de Turquie en 1923, les intellectuels et universitaires se sont tournés vers la culture occidentale et les ouvrages étrangers tiennent aujourd’hui une place de premier ordre au sein de l’ensemble de la production littéraire turque. Il n’est pas rare de voir des maisons d’édition s’établir exclusivement en fonction des tendances politiques qui influencent le pays selon les périodes. Enfin, une grande partie de l’édition en Turquie était jusque-là prise en charge par des institutions gouvernementales et soumise au contrôle de l’État. Cette situation est en train de changer au profit des éditeurs privés, surtout dans le domaine du livre scolaire.
La seconde spécificité est la menace permanente du piratage, qui nuit gravement
à toute l’industrie culturelle du pays. Cependant, entre ce fléau en constante
progression et des budgets encore insuffisants alloués au secteur de l’édition, une vision d’ensemble permet de constater que la vie culturelle turque est en perpétuel mouvement et tend à prendre de l’ampleur, grâce notamment à de nouveaux entrants sur le marché – entre autres les banques et les groupes de médias – et à l’adaptation des petites structures aux mutations que traverse la chaîne du livre depuis le début du XXIe siècle.
Le paysage éditorial : de nouveaux investisseurs
Les conséquences liées aux différents coups d’État sont très nettes sur le monde de l’édition turque puisque, après chacun d’entre eux, la proportion du nombre de traductions augmente, pour occuper les deux tiers de la production littéraire globale du pays. Le coup d’État du 12 septembre 1980 a par ailleurs eu un effet terrible sur le secteur, avec les arrestations d’éditeurs, d’auteurs et de traducteurs, qui ont entraîné la fermeture de nombreuses maisons et librairies.
Depuis la restauration de la démocratie en 1983, l’édition turque est en perpétuelle croissance mais, tandis que dans les années 1970 le tirage moyen par titre atteignait les 5 000 exemplaires, il ne se situe aujourd’hui qu’entre 1 000 et 1 500 exemplaires.
Durant les années 1990, de nouveaux investisseurs ont fait leur entrée dans le secteur de l’édition. La fragilité économique de l’industrie du livre, ses faibles marges et profits, son taux élevé d’imposition et la difficulté à trouver une main-d’œuvre qualifiée ont cependant limité les apports de ces capitaux qui n’ont, dès lors, représenté aucune menace réelle pour l’édition indépendante, comme ce fut le cas dans d’autres pays.
Mais, depuis quelques années, ces éditeurs indépendants sont mis en péril par de grands groupes de médias qui ont choisi d’étendre leur activité à l’édition. Ainsi, l’entreprise Egmont Group a-t-elle, par exemple, racheté 50% des parts de Doğan Kitap en 2005. Financée avec les bénéfices générés par les autres pôles de la société, la production éditoriale n’a pas tant pour objectif d’être rentable, que d’accroître la légitimité et le prestige de ces groupes.
Mais c’est l’investissement de certaines banques dans des activités éditoriales de grande envergure qui a le plus modifié le paysage éditorial.
Pour survivre, les éditeurs indépendants ont dû trouver leur place entre des ouvrages publiés par les banques à des prix très attractifs et ceux édités par les groupes de médias qui disposent d’importants moyens publicitaires et promotionnels.
Grâce à un lectorat considérable au sein de la jeune génération et à l’opiniâtreté de certains éditeurs désireux d’évoluer hors des sentiers battus du « tout commercial », l’édition indépendante a cependant su résister et occuper une place de premier ordre sur le marché du livre.
En Turquie, deux organismes représentent les professionnels de l’activité éditoriale : l’Union des éditeurs de Turquie et l’Union de la presse et de la publication, qui réunit éditeurs et imprimeurs.
Le rôle de l’état
En Turquie, une grande partie de l’édition est prise en charge par des institutions gouvernementales. Chaque année, des milliers de livres sont publiés par le ministère de la Culture et du Tourisme, le ministère de l’Éducation nationale ou encore le cabinet du Premier ministre.
Subventionnées et produites par l’État, qui ne se soucie que modérément des bénéfices liés à son activité éditoriale, ces publications constituent une concurrence déloyale pour les éditeurs privés, qui ne peuvent pas proposer des ouvrages à des prix aussi attractifs.
Des aides publiques limitées
Le problème majeur des éditeurs turcs est le manque de ressources. L’industrie du livre n’étant pas considérée comme un secteur suffisamment porteur et productif, elle n’a pas sa place au sein des programmes économiques de l’État.
Aucune politique n’est mise en place pour servir et développer l’univers éditorial du pays. Ce manque d’investissement de la part du secteur public nuit profondément à la profession et est évidemment regrettable pour la vie culturelle turque.
Le droit turc appliqué à l’activité éditoriale
Depuis 1995, la Turquie fait partie des pays signataires de la Convention de Berne, pour la protection des œuvres littéraires. Au niveau national, l’activité éditoriale est soumise au FSEK, le Code des œuvres littéraires et des opinions. Il garantit les droits patrimoniaux et moraux des auteurs et détermine les infractions commises par voie de publication, comme le dénigrement de l’État, l’atteinte à l’honneur des forces militaires ou la propagande visant à rompre l’unité nationale.
Le FSEK exige l’accord de l’État pour toute publication et vente de livres. Dans le but de lutter contre l’édition pirate, le gouvernement a donc instauré un système de bandeaux – dit « banderoles » en Turquie –, pour les ouvrages « autorisés ». Placés en couverture, ils sont délivrés par le ministère de la Culture et du Tourisme. Tout éditeur dont la publication enfreint le FSEK s’expose à une amende ou à une peine de prison.
La liberté de publication
Malgré cette importante mainmise de l’État sur l’édition et la comparution de nombreux auteurs ou éditeurs devant les tribunaux, d’importants progrès ont été faits en matière de liberté de publication grâce à la mise en conformité des lois turques avec les règlements de l’Union européenne.
L’interdiction pure et simple de la publication d’un ouvrage ou la saisie de livres avant même leur commercialisation sont devenues des pratiques de plus en plus exceptionnelles. Les éditeurs ne sont par ailleurs plus systématiquement tenus pour responsables des titres qu’ils font paraître. En revanche, la situation des traducteurs ne va pas en s’améliorant. Selon le FSEK, ils prennent en effet le statut de l’auteur lorsque ce dernier ne réside pas en Turquie. Ils assument dès lors une partie de la responsabilité pénale, avec l’éditeur, à l’égard des infractions commises par voie de publication. Nombre d’entre eux ont ainsi été directement confrontés à la justice. Entre 2006 et 2007, ce sont 43 auteurs et traducteurs et 24 éditeurs qui ont été amenés à comparaître devant les tribunaux.
Les dernières évolutions ou le monopole d’une culture commerciale
Le marché de l’édition s’est vu transformé par le développement de la distribution et de la diffusion. De nouvelles maisons sont apparues avec la claire ambition de pratiquer une politique purement commerciale. Les éditions GOA, par exemple, ont fait leur entrée dans le secteur en ne publiant que des best-sellers. Les maisons d’édition les plus célèbres privilégient les gros tirages d’ouvrages dits « populaires » aux tirages plus faibles de titres peut-être plus prestigieux, mais moins rentables.
Les distributeurs préfèrent aussi la quantité à la qualité et la durée de vie d’un ouvrage sur les tables des libraires est réduite aujourd’hui à une vingtaine de jours.
La majorité des libraires remplissent leurs boutiques avec les best-sellers et les livres ayant bénéficié d’une promotion importante. Ces ouvrages sont la garantie de ventes rapides, quand les titres moins populaires constituent une prise de risques et affichent par ailleurs un taux de retour élevé.
Les libraires indépendants s’accordent un délai nettement plus long pour le paiement des ouvrages de maisons mineures ou de taille moyenne, réglant en priorité leurs achats aux éditeurs les plus puissants. Les distributeurs, à leur tour, tardent à redistribuer les parts financières qui reviennent aux éditeurs des petites structures.
Pour les grands éditeurs, la constitution de chaînes de librairies a pour but de ne pas laisser la diffusion de leurs ouvrages à l’initiative des distributeurs et libraires extérieurs. Elles sont une forme de raccourci pour remédier au retard de paiements, une application du célèbre adage « on n’est jamais mieux servi que par soi-même ».
Alors que diffusion et distribution sont de plus en plus régies par les grands groupes et que le nombre de libraires turcs est relativement faible, il devient de plus en plus difficile pour les éditeurs indépendants de faire connaître leurs ouvrages et de leur assurer une réelle visibilité.
Les principales données
L’agence d’enregistrement des ISBN recensait, en 2006, 1 724 éditeurs appartenant à différentes catégories : maisons indépendantes, universités, fondations et cercles associatifs, individus, institutions et établissements publics, etc. En 2004, 200 d’entre eux avaient publié entre 10 et 100 titres ; 20 éditeurs avaient publié plus de 100 titres et les autres moins de 10 titres. Le nombre de maisons a doublé ces 6 dernières années.
Selon le ministère de la Culture turque, le nombre de parutions était estimé à 31 414 titres en 2009. Le marché de l’édition turque aurait représenté environ 591 millions d’euros de chiffre d’affaires pour l’année 2007. On recensait, en 2006, 6 000 libraires et la distribution était assurée par 50 grossistes.
Le prix public moyen d’un ouvrage est de 30 livres turques TRY, soit environ 15 euros, pour les couvertures cartonnées et de 15 TRY, soit environ 7,5 euros, pour les couvertures souples.
On estime aujourd’hui à 40% la part des ouvrages piratés sur l’ensemble des livres en circulation sur le marché. Edition officielle et édition illicite confondues, les ventes se répartissent, par ordre décroissant entre les livres scolaires, parascolaires, livres culturels, livres universitaires et exportation.
Parmi les 10 titres les plus vendus en Turquie, 6 sont des traductions de best-sellers internationaux.
La langue turque est parlée par plus de 150 millions de personnes dans le monde (Europe et Asie).
Aperçu du secteur à travers les dix plus grands éditeurs du pays
Les chiffres d’affaires et les parts de marché des éditeurs demeurent confidentiels : ils ne sont communiqués ni au public ni aux organismes professionnels. Nous ne pouvons donc répertorier ici les maisons que selon leur nombre de publications annuelles et leur visibilité au sein de l’offre globale.
Doğan Kitap (www.dogankitap.com)
Créée en 1999, cette maison d’édition est détenue par le groupe de médias Doğan. A son catalogue, des best-sellers internationaux, des grands classiques turcs et de jeunes auteurs contemporains, des ouvrages historiques et biographiques et un pôle pratique : santé, cuisine et art de vivre.
Lorsque le groupe danois Egmont Media rachète 50% des parts de Doğan Kitap en 2005, elle devient la première maison d’édition turque associée à une entreprise étrangère.
YapıKredi Kültür Sanat Yayıncılık - YKY (www.ykykultur.com.tr)
Créée en 1949 par la banque Yapi Kredi, cette maison était au départ spécialisée dans l’édition jeunesse. Depuis 1992, elle est devenue une maison généraliste. Avec 200 titres publiés par an, de nombreuses traductions, YKY est considérée comme un des acteurs les plus importants du marché.
Kültür Yayınları (www.iskulturyayinlari.com)
Fondée en 1956 par le ministre de l’Éducation nationale Hasan Ali Yucel, Kultur Yayinlari est elle aussi détenue par une banque. Spécialisé au départ dans les ouvrages historiques, l’éditeur étend sa production notamment au secteur de la jeunesse. Avec près de 200 nouveaux titres par an, Kültür Yayinlari est aujourd’hui l’un des leaders du marché du livre de jeunesse.
Altın Kitaplar (www.altinkitaplar.com.tr)
Fondée en 1955, cette maison est devenue coutumière des best-sellers, en littérature étrangère notamment. Elle occupe également une place importante sur le marché des sciences humaines et des dictionnaires et élargit son activité depuis 1980 à l’édition d’ouvrages scolaires certifiés par le ministère de l’Éducation nationale. Elle compte à ce jour plus de 2 000 titres à son catalogue.
Remzi Kitabevi (www.remzi.com.tr)
Créée en 1927, la maison d’édition Remzi a publié les ouvrages des plus grands auteurs turcs et fut la première à se lancer dans la littérature étrangère après l’officialisation de l’alphabet latin en 1928. Avec quelque 4 000 titres spécialisés en art et littérature, l’éditeur détient le catalogue le plus important dans ce secteur. En 1993, il a par ailleurs créé sa propre chaîne de librairies, ouvrant des points de vente dans les plus grandes villes du pays.
Bilgi Yayınevi (www.bilgiyayinevi.com.tr)
La maison Bilgi, créée à Ankara, compte aujourd’hui plus de 3 500 titres à son catalogue, répartis entre littérature adulte, livres de jeunesse et essais politiques. Depuis 1972, elle dispose de son propre réseau de distribution.
Can Yayınları (www.canyayinlari.com)
Fondée en 1982 par l’écrivain Erdal Öz, la maison Can se consacrait essentiellement aux livres de jeunesse. Elle est devenue par la suite une référence en matière de littérature, grâce à la découverte de nouveaux talents comme, par exemple, Orhan Pamuk.
İletişim (www.iletisim.com)
Éditeur en presse magazine au départ, Iletisim a étendu sa production au secteur de l’encyclopédie. Réputée aujourd’hui pour ses publications sur l’histoire politique et la philosophie turque, la maison s’est lancée depuis peu dans la littérature générale. C’est elle désormais qui édite notamment Orhan Pamuk.
Metis (www.metiskitap.com)
Fondée en 1992, la maison Metis est reconnue pour ses publications prestigieuses en littérature, poésie et critique littéraire. Son catalogue compte à ce jour plus de 800 titres.
Alfa Group (www.alfakitap.com)
A la tête de 6 maisons d’édition, le groupe Alfa est le plus important distributeur du pays et dispose également d’une imprimerie.
La maison Alfa, éponyme de l’entreprise, est spécialisée dans les dictionnaires et les ouvrages de référence universitaires autour de 4 pôles majeurs : informatique, psychologie, développement personnel et littérature.
La maison Everest (www.everestyay inlari.com) publie principalement de la littérature, avec autant de titres turcs que d’ouvrages étrangers.
La maison Artemis (www.artemisyay inlari.com), fondée en 2003, est spécialisée dans le policer, le fantastique et la science-fiction avec, à ce jour, plus de 60 titres à son catalogue.
Les trois dernières créations du groupe, enfin, sont les maisons Kapı Yayınları, Alfa Gelişim et Büyülü Fener.