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Israël et la France, croisement littéraire du regard

avril 2008

Tobie Nathan, Conseiller de coopération culturelle à l'ambassade de France en Israël revient sur les liens étroits existant entre les Israéliens et la langue française...
Les Israéliens aiment le français - et c’est naturel, cette langue étant plantée dans cette terre depuis près de mille ans. Apportée par les Croisés, elle leur a survécu – lingua franca, « langue franche », c’est-à-dire libre de droits, ouverte à tous, ou peut-être, et plus simplement encore : « langue des Francs », de ceux qui ne sauraient mentir…
 
Elle a étrangement résisté aux mélanges, ne s’est pas confondue avec les parlers italiens des marchands vénitiens – ou si peu ! Elle s’est maintenue étonnamment pure en dépit des tentations, des attractions des parlers espagnols des Juifs fuyant l’Inquisition. Elle est restée là, en attente, tapie dans le terreau du peuple. Soudain remise au goût du jour suite à l’expédition de Bonaparte, elle a été diffusée dans tout le Proche-Orient par l’entremise des Écoles religieuses chrétiennes, et plus tard de celles de l’Alliance Israélite Universelle, longtemps seules voies vers la modernité.
Il fut un temps, pas si lointain du reste, où l’on incitait les enfants à apprendre le français si l’on rêvait pour eux un avenir intellectuel. Après la création de l’État d’Israël, du fait des liens très étroits que le pays entretenait avec la France, le français était pratiquement la seconde langue du pays. Certains ici se souviennent encore des noms de rues écrits en français et en hébreu, des indications dans les bureaux de poste, des enseignes de boutiques… Et puis, le français fut à nouveau lingua franca, durant les années 50, langue partagée par un grand nombre d’immigrants venus d’horizons divers – langue médiane. Chez ceux qui arrivaient de l’Est, le français était langue de distinction – bien des originaires de Roumanie le parlent encore à la perfection.
 
Chez les immigrants du Proche et du Moyen-Orient, le français était la langue de la judéïté. Ceux de Turquie, du Liban, de Syrie, d’Égypte se souviennent qu’ils parlaient deux langues : celle du dehors – l’arabe, le grec ou le turc – et celle du dedans, de la famille : le français. Le français était souvent langue maternelle des immigrants du Maghreb – non pas langue de la mère, car la mère parlait généralement l’arabe, mais plutôt langue-mère, première langue apprise, mère des langues à venir, déposée dans le berceau avec les rêves d’avenir. Le français était ici dès l’origine langue du bon goût, de l’intimité, du rêve et du bien-être.
 
C’est pourquoi les Israéliens aiment cette langue – et je reste persuadé qu’aujourd’hui encore le français les plonge dans cette atmosphère feutrée, à la fois tendre et riche, profonde et légère, élégante, quelque peu sophistiquée – une langue qui ouvre sur des univers.
 
Aujourd’hui, la francophonie connaît un printemps en Israël. Il faut dire qu’il existe au moins 120 000 Israéliens qui sont aussi français. Ces dernières années, le contingent de touristes français a été le plus important du pays, et parmi eux, sans doute, une partie importante de la communauté juive de France. Ainsi, existe-t-il une fraction d’Israël en France et une fraction de France en Israël. Cette réalité vient donc s’inscrire dans la chair de chacun des deux pays quelles que soient les vicissitudes politiques qu’ils traversent.
 
De plus en plus de livres français sont traduits en hébreu.
Le Plan d’Aide à la Publication Ben Yehuda, mis en œuvre par les services de l’Ambassade de France, a permis la traduction de 430 ouvrages ces dix dernières années et le rythme va croissant. Les écrivains français sont accueillis avec enthousiasme – Julia Kristeva, Bernard-Henri Lévy, d’Alain Finkelkraut, Maryse Condé, Michel Le Bris, Jean Rouaud, Philippe Grimbert ou Pierre Assouline. Par ailleurs, les romanciers israéliens ont réalisé de véritables best-sellers en France, comme Amos Oz, A.B. Yehoshua, David Grossman, Aaron Appelfeld, Zeruya Shalev ou Etgar Keret… Les Français découvrent la poésie des Israéliens lors de festivals internationaux et des Israéliens lisent des fragments de poètes français sur le mobilier urbain de leur ville – les camions de poubelles, les bus ou les murs de Tel-Aviv.
 
Une telle ambiance a permis la naissance en septembre 2007 d’un lycée franco-israélien à Tel-Aviv, dont l’objectif ambitieux à terme est de proposer un baccalauréat franco-israélien, permettant, avec une même certification, de poursuivre des études supérieures, soit en Israël, soit en France.
La France a acheté un bâtiment en plein centre de Tel-Aviv, sur le réputé boulevard Rothschild – qui abrite l’Institut français de Tel-Aviv et les Services culturels de l’ambassade de France. L’on y retrouve les livres français, l’on vient écouter des conférences, de petits concerts, voir des films… Dans quelques semaines, un café va s’ouvrir, où l’on pourra trouver les publications françaises les plus récentes et rencontrer les écrivains, les chercheurs, les philosophes, les cinéastes, les acteurs, les artistes… Exprimer à nouveau toute sa curiosité, toute son envie de France, s’imbiber de français, comme on le fait d’un parfum, s’entourer de français, comme d’une écharpe de soie, respirer le français, comme l’air frais du matin dans une campagne normande ; là où l’on viendra habiter la langue.
Israël et la France, les deux pays sont aujourd’hui totalement distincts ; ils sont pourtant restés liés par ce pacte de chair, chacun intégrant sous sa peau une part de la substance de l’autre. Par sa passion de la loi, Israël se révèle à la fois origine et avenir de la France ; la France et sa mystique de la créativité révolutionnaire sont le passé et l’âme d’Israël. Il s’étaient quelque peu éloignés, la peau à vif sous le frottement acerbe de l’autre. Aujourd’hui, ils peuvent à nouveau s’approcher. Cependant, le travail d’explicitation ne peut être que réciproque. Maintenant que l’avant-garde des deux pays s’est entremêlée, il devient désormais possible – et cela dans un même mouvement – d’expliquer Israël en France et la France en Israël. Les écrivains, ces impudiques ambassadeurs de l’âme qui, traduits, livrent l’intimité propre dans sa transparence, vont pouvoir accomplir leur exploration salutaire. Ils vont permettre de partir au tréfonds de soi à la recherche de l’identité de l’autre…

Tobie Nathan, Conseiller de coopération et d’action Culturelle près l’Ambassade de France en Israël.

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