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Portrait et entretien de professionnel

La parole à trois éditeurs de la francophonie du Sud. Présentation de l'Alliance des éditeurs indépendants et du rapport "Editer dans l'espace francophone"

mars 2006

La parole à trois éditeurs de la francophonie du Sud : au Liban la Librairie Antoine, en Côte d'Ivoire les Editions Eburnie et au Maroc les Editions Tarik...

Le Salon du livre de Paris est l’occasion de réunir, aux côtés des auteurs, de nombreux éditeurs représentant la planète francophone. Des éditeurs, belges, suisses, québécois (dont la délégation est l’une des plus importantes) qui pour un grand nombre d’entre eux sont des fidèles de ce rendez-vous parisien. Celui-ci est devenu une des étapes obligées du parcours francophone, avec les Salons du livre de Montréal, Genève ou encore Bruxelles.

Mais la francophonie ne s’arrête pas là, et depuis quelques années c’est au Sud que les choses se passent également. Curieuse délimitation géographique, qui désigne dans ce « Sud » des pays aussi divers que le Maroc, Madagascar ou le Liban. Dans cette francophonie-là, des acteurs de l’édition se font de plus en plus visibles et se battent sans cesse pour qu’une production éditoriale de qualité, témoin de la vitalité des auteurs dans leur pays, se développe.

On ne dira jamais assez les contraintes que ces éditeurs francophones du Sud rencontrent dans leur désir d’éditeur : elles tiennent le plus souvent aux environnements économiques, politiques et culturels.

Les échanges entre éditeurs sont nombreux au cours de ce Salon du livre pour évoquer les multiples difficultés mais aussi les perspectives qui se dessinent pour les éditeurs francophones du Nord comme du Sud. Pour sa part, le BIEF propose une série de rencontres professionnelles où seront abordées les différentes problématiques.

Les éditeurs du Nord, de Belgique, de Suisse ou du Québec constituent aujourd’hui un réseau important et leur réalité est assez familière des éditeurs français. En revanche, la parole des éditeurs du Sud est sans doute plus récente. C’est pour illustrer cette autre réalité « à découvrir », que nous avons souhaité donner la parole à trois d’entre eux, au Liban, au Maroc et en Côte d’Ivoire et leur demander aussi de témoigner du sens qu’ils prêtent à la francophonie.                              

- Pierre Myszkowski


=> La librairie Antoine… libraire et éditeur francophone au Liban
Véritable point d’ancrage de la francophonie au Moyen-Orient, le Liban demeure le marché le plus important dans la région pour les éditeurs français. Le montant des exportations de livres français a ainsi représenté plus de 8 millions d’euros en 2004, mettant ce pays au 15e rang des pays importateurs de livres français dans le monde, très loin devant l’Égypte par exemple.
Pour autant, l’évolution de la place du livre en langue française au Liban semble marquer le pas depuis quelques années. Les chiffres de la Centrale de l’Édition confirment une évolution en dents de scie ces dix dernières années et rendent compte des difficultés des importateurs libanais à défendre la place du livre en langue française. Les raisons sont bien connues des professionnels du livre, évoquant tour à tour le prix du livre et la faiblesse du pouvoir d’achat, la concurrence de la langue anglaise, la place envahissante de la télévision et des jeux, la crise économique et l’instabilité politique. Mais l’attachement à la langue française demeure, et le livre en est sans doute un des signes les plus visibles. Les librairies de Beyrouth n’ont ainsi rien à envier à leurs homologues en France, tant l’offre y est abondante. Parmi les enseignes historiques, les librairies Antoine constituent un réseau d’une dizaine de points de vente implantés dans le grand Beyrouth et Tripoli. Le groupe Antoine demeure en effet le principal distributeur de livres en langue française mais, depuis quelques années, ses dirigeants ont voulu diversifier l’activité du groupe en développant une activité d’édition, d’abord en langue française et plus récemment en arabe.

Sami Naufal, directeur du groupe : « L’introduction de nouveaux programmes scolaires au Liban et, par voie de conséquence, la diminution du marché du livre importé dans ce domaine, nous ont poussés avec notre partenaire Hachette à trouver de nouveaux axes de développement. Notre activité éditoriale a démarré en 1998, avec une collection d’ouvrages coédités avec Hachette Edicef, dont le succès s’explique aussi par la progression du nombre d’élèves inscrits, et nous occupons aujourd’hui la position de leader sur ce marché. Dans le domaine universitaire ou professionnel, quelques titres ont bien marché, comme Le carrefour des prophètes ou dans un autre genre Le guide juridique des investissements, sans que nous puissions parler pour autant d’une ligne éditoriale. Nous restons très prudents, vu l’étroitesse du marché et la préférence du monde professionnel au Liban pour la lecture en anglais. Pour ce qui est de la francophonie, il faut bien admettre qu’il s’agit d’une notion en déclin au Liban, même si nous essayons de l’incarner de la meilleure façon. La francophonie ne rime plus forcément avec développement. Nous sommes donc obligés de la faire vivre autrement, en faisant traduire notamment des ouvrages de langue française en arabe ».

Librairie Antoine
B.P. 11-0656 
1107 2050 Beyrouth – Liban
Tél. : + 961 1 483 513 - Fax : +961 1 510 501
Courriel : la@librairieantoine.com


=> Questions à Bichr Bennani, éditions Tarik, Casablanca
Créée au printemps 2000, Tarik s’est très vite imposée au Maroc comme une des maisons d’édition de référence. Son catalogue, qui privilégie la littérature et les témoignages, compte 65 titres, dont quelques titres phares comme Héros sans gloire de Mehdi Bennouna, La Mémoire de l’autre de Christine et Abraham Serfaty, ou encore le témoignage poignant de Ahmed Marzouki, Tazmamart cellule 10, vendu à plus de 30 000 exemplaires et devenu un véritable best seller au Maroc.

Pierre Myszkowski : Comment définiriez-vous la maison d’édition Tarik, dont vous êtes un des fondateurs  ? 

Bichr Bennani : Tarik a été créée par un groupe de professionnels du livre investis depuis de longues années dans le domaine de la culture pour l’enrichissement de l’espace éditorial maghrébin. Nous avons privilégié des domaines tels que l’histoire, la société, la mémoire qui sont au Maroc des enjeux de débat d’autant plus forts que ce pays est en train de s’ouvrir à la modernité. C’est aussi dans ce sens que nous avons cherché à construire avec des éditeurs du pourtour de la Méditerranée des partenariats, par exemple en France avec les éditions Albin Michel ou Gallimard ce qui nous a permis de gagner en visibilité et aussi de nous enrichir d’autres apports. 

P. M . : Que signifie la « francophonie » pour vous et votre maison d’édition ? 

B. B. : Avant tout une ouverture culturelle. La coexistence de plusieurs langues et donc de plusieurs cultures est le signe de cette diversité culturelle. La francophonie peut être source d’enrichissement pour les individus et pour la société, lorsqu’elle est bien assumée.

P. M. : Comment voyez-vous la place du livre dans votre pays ?

B. B. : Le livre et la lecture régressent depuis plusieurs années. Pour preuve, la diminution du nombre de livres édités ou importés, les tirages qui s’amenuisent… L’absence de politique du livre n’est pas pour nous aider, même si quelque chose semble se dessiner depuis peu. Sait-on qu’au Maroc, il n’existe pas une centaine de bibliothèques avec moins d’un million d’ouvrages au total pour 33 millions d’habitants ?
Mais cela ne nous empêche pas de garder l’espoir. En dépit de l’analphabétisme et du faible niveau de pouvoir d’achat, nous estimons qu’il existe un marché de 5 à 6 millions de lecteurs potentiels, essentiellement parmi les quelque 400 000 enseignants de ce pays ou le million de cadres salariés et diplômés.

P. M. : Quel est votre meilleur souvenir en tant qu’éditeur francophone au Maroc ?

B. B. : Sans doute la grande satisfaction de croiser des lecteurs anonymes qui nous remercient d’avoir publié tel ou tel livre. Il y a aussi ces jeunes rencontrés par hasard et qui connaissent parfaitement tout notre catalogue.

Tarik éditions
321 Route d’El Jadida 
Casablanca - Maroc
Tél : +212 22 23 90 07 - Fax : +212 22 23 25 50
Courriel : tarik.edition@wanadoo.net.ma


=> Portrait d’une éditrice en Côte d’Ivoire
Marie-Agathe Amoikon Fauquembergue a passé son enfance entre le Niger, la France, le Gabon et les Antilles. Après dix-huit ans aux éditions CEDA, elle crée en 2001 sa propre maison, Eburnie. Cette éditrice cumule les activités puisqu’elle est également membre du comité d’orientation des experts du CAFED (Centre africain de formation à l’édition) et trésorière de l’association professionnelle des éditeurs du livre en Côte d’Ivoire, l’ASSEDI.

Avec une centaine de titres au catalogue, Eburnie publie des livres scolaires, de la littérature enfantine et des sciences humaines et sociales, dont l’essai de Banzio Dagobert Comprendre et opérer dans la filière café/cacao qui est l’un des succès de la maison.

Cherchant à favoriser l’émergence de nouveaux auteurs et à développer des genres encore non implantés en Afrique (romans policiers par exemple), Eburnie participe à de nombreuses coéditions Nord-Sud (« Enjeux Planète ») et panafricaines (« le Serin », « la Libellule » ou encore « Arts d’Afrique »…)

Malgré la disparition de nombreux points de vente et de Centres de lecture et d’animation culturelle (CLAC) en raison de la guerre, Marie-Agathe Amoikon Fauquembergue s’investit pour « insuffler une nouvelle image au monde de l’édition africaine ». Pour l’éditrice, la francophonie, ce « concept que nous avons en partage », participe de cette aventure : « un espace réunificateur et mobilisateur qui au-delà de nos cultures identitaires propres nous rassemblent, nous rapprochent ».
- Laurence Hugues

Eburnie
1 BP 1984
Abidjan 01 – Côte d’Ivoire
Tél. : +225 20 21 57 58
Courriel : amoiko.ma@aviso.ci


=> Éditer dans l’espace francophone
Luc Pinhas, enseignant – chercheur à l’Université Paris 13 – Villetaneuse, a publié Éditer dans l’espace francophone, collection « L’état des lieux de l’édition » de l’Alliance des éditeurs indépendants, dirigée par Jean-Yves Mollier.

Pourquoi le livre francophone est-il à ce point dominé par l’édition française ? Pourquoi circule-t-il si mal dans l’espace francophone ? Quels en sont les flux, les sens uniques ? Quels sont les dispositifs législatifs en vigueur favorisant l’édition et la commercialisation des ouvrages ? Les politiques publiques ne sont-elles pas insuffisantes ? Quelles sont les entraves à la commercialisation du livre ?

L’auteur se propose de présenter la situation de l’édition et de la commercialisation du livre dans un espace francophone marqué par des disparités fortes et flagrantes. Il en appelle d’abord au regard historique pour dessiner les contours du paysage éditorial francophone actuel. Puis, il explicite les dispositifs législatifs locaux et en désigne les manques. Il fait ensuite le point sur les politiques publiques du livre menées tant à l’échelon national que par les instances intergouvernementales de la Francophonie. Il décrit enfin les caractéristiques présentes de la commercialisation du livre dans l’espace francophone, en désigne les insuffisances et précise les obstacles qui en empêchent pour l’heure une circulation plus fluide. La conclusion soumet tout un ensemble de pistes susceptibles de favoriser l’expression d’une plus grande bibliodiversité.


=> L'Alliance des éditeurs indépendants
L’Alliance des éditeurs indépendants est une association de loi française, à but non lucratif, créée en 2002 à l’initiative d’un petit groupe de professionnels du livre. Par la mise en place progressive d’un réseau international d’éditeurs, indépendants des grands groupes, qui travaillent ensemble à des projets éditoriaux, elle participe à la circulation des idées, et à la construction d’une société civile internationale. L’Alliance s’attache à promouvoir des accords commerciaux solidaires entre ses membres, en suscitant et développant particulièrement les processus de coédition. Le travail s’organise entre autres au sein de réseaux linguistiques (francophone, anglophone, hispanophone, arabophone, etc.). De nombreux projets éditoriaux ont ainsi vu le jour, dont des collections coéditées internationalement : « Enjeux Planète », « Proches Lointains », « Les Mots du Monde ».

Alliance des éditeurs indépendants
38, rue Saint Sabin
75011 Paris - France
Tél. : 01 43 14 73 66 - Fax : 01 43 14 73 63
site : www.alliance-editeurs.org



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