L'oeuvre poétique de Nikolaï Zabolotski prend essor vers la fin
des années vingt, décennie d'une extraordinaire richesse dans les
arts comme dans le mouvement de la société. En Russie, il règne en
ces années une atmosphère où l'esprit de l'utopie prospère comme
jamais, avant qu'un terme brutal y soit mis au début des années
trente. Proche à ses débuts de Daniil Harms et des poètes de l'Oberiou,
Zabolotski s'engage bientôt sur une voie singulière. Rompant
avec toute vision anthropocentriste, sa pensée poétique annonce une
nécessaire coévolution de la nature et de la société. Il se rapproche
à la fois de Vladimir Vernadski, ce pionnier de l'écologie globale, et
de l'utopie futuriste de Velimir Khlebnikov dont deux vers avaient
fécondé sa propre imagination et nourri sa veine scientifico-primitiviste
: «Je vois des libertés chevalines/Et l'égalité des droits pour
les vaches...» Des proximités se font également jour entre son univers
et celui de Pavel Filonov - chez ce peintre, en effet, le cheval
acquiert le statut d'une créature intellectuelle égale aux humains et
incarne une force opposée à la mentalité des philistins. «Merveilleux,
absolument merveilleux...» Voilà ce que disait à son propos Joseph
Brodsky. Et il ajoutait : «Zabolotski a fait pour la littérature russe du
XXe siècle ce que Gogol avait fait pour celle du XIXe. Il nous a tous
envoûtés à un moment ou à un autre.» Bien qu'il soit l'un des plus
importants poètes russes du XXe siècle, Nikolaï Zabolotski reste à ce
jour méconnu en France. Contribuer à la réparation de cet oubli est
la principale raison d'être de ce livre.