Achille.
Je prononce ton prénom Achille. Dans ton prénom, il y a l'armée, les tueurs,
les assassins. Il y a la foule qui combat la foule. Il y a un bruit qui avance et dont je ne
peux me défaire, un bruit qui m'aimante, et m'effraie. Un bruit que je voudrais ne pas
aimer, mais ce sont les sabots déchaînés des chevaux contenus dans ton nom, contenus
par l'armée, qui m'attirent. Leurs naseaux excités quand le sable monte du sol, leur
façon de hennir, leur façon de chanter aussi. Il y a ce son, qui est un bruit, qui est un nom
dans un nom et me foudroie, comme me foudroie la façon dont on te nomme. M. R.
Rien d'étonnant, alors que le prénom d'Achille a toujours sonné à ses oreilles comme
un poème qu'elle a «appris avant de naître», à ce que la narratrice convoque dans
son salon, armé et casqué, celui dont l'Iliade ne raconte pas la mort. Au moment où
Achille fait irruption chez elle, Marie contemple sur l'écran de son ordinateur l'image
de Thétis, la mère du héros ; la présence de la nymphe marine dans sa salle de bains
n'a pas davantage de raison de la troubler. Allant et venant entre ces deux figures de
légende, la jeune femme engage avec une tranquille audace la conversation, et tisse
sa trame très douce et très contemporaine du mythe.