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Compte rendu

Rencontres franco-américaines d’éditeurs de jeunesse à New York

juillet 2016

[9-10 juin 2016]

Une nouvelle rencontre entre éditeurs français et américains a éte organisée à New York par le BIEF et l'ambassade de France. Après la BD en 2015, c'est  la jeunesse qui fut au centre des journées du 15 et du 16 juin et a réuni plus de 80 participants...


Dans le prolongement de la rencontre BD, qui s’était déjà déroulée en mai 2015 à New York, le BIEF et l’ambassade de France ont organisé de nouvelles journées professionnelles d’éditeurs français et américains, dédiées cette fois-ci à la jeunesse, les jeudi 9 et vendredi 10 juin 2016.

Composées d’une visite de librairies, d’interventions croisées sur les marchés du livre en France et aux États-Unis et de rendez-vous professionnels, elles ont attiré une trentaine d’éditeurs français venus rencontrer près de 50 professionnels américains.

 

C'est par la visite guidée de deux librairies qu’a démarré pour les éditeurs français la journée du jeudi 9 juin. Ces moments d’échanges dans les murs de la célèbre librairie jeunesse Books of Wonder et de la prestigieuse librairie générale McNally Jackson, à Soho, ont permis aux libraires d’évoquer notamment leur stratégie pour fidéliser leur clientèle et se faire une place face aux mastodontes américains.

 

Après l’ouverture des rencontres par Bénédicte de Montlaur, conseillère culturelle à l’ambassade de France, et Jean-Guy Boin, directeur général du BIEF, l’après-midi était consacrée à quatre tables rondes, modérées par John A. Sellers de Publishers Weekly.

À la première d’entre elles, intervenaient : côté français, Marianne Durand, directrice de Nathan Jeunesse, et côté américain, Susan Van Metre, d’Abrams. À partir de plusieurs données statistiques, les éditrices ont présenté les caractéristiques des deux marchés du livre pour la jeunesse. En France, il représente environ un quart du marché total, avec une part croissante de la fiction. Et si le secteur de la jeunesse est la deuxième plus grande catégorie après la littérature générale, il semble bien être le plus dynamique des deux. Aux États-Unis, le secteur de la jeunesse occupe 30% du marché, dont 75% correspondent à de la fiction, mais avec actuellement un regain d’intérêt des lecteurs pour la non-fiction, qui inclut – il faut le noter – les livres de coloriage pour la jeunesse mais aussi, avec un succès continu, pour les adultes, ainsi que les livres développés à partir des prestations des stars de YouTube…

 

Une différence – qui n’est peut-être pas surprenante – est qu’aux États-Unis le e-book en jeunesse contribue à une croissance dans le nombre total de livres vendus. À l’heure actuelle, en France, ce format ne représente ni un volume significatif dans la production, ni ne participe à une croissance dans le secteur du livre pour la jeunesse. Par ailleurs, alors qu’en France la meilleure promotion pour faire connaître un nouveau titre ou auteur réside dans les foires du livre, lieux de rencontres avec les lecteurs, aux États-Unis ce sont avant tout les visites dans les écoles et les avis des bibliothécaires qui comptent. Il est intéressant de noter aussi qu’en France la présence d’un livre dans la liste des livres prescrits dépend du ministère de l’Éducation nationale, alors qu’aux États-Unis un livre peut en faire partie sur décision du professeur de chaque classe, ce qui ouvre beaucoup de portes aux nouveaux auteurs.

 

Des liens de longue date

 

Après l’exposition de nouvelles tendances, la deuxième table ronde a permis aux participants de remonter à la source de cette édition jeunesse de part et d’autre de l’Atlantique et d’en parcourir les principaux mouvements, une "mise en contexte" dont on se souvient qu’elle avait été jugée importante par les participants à la rencontre de l’année dernière. Sophie Giraud, directrice d’Hélium, a souligné à la fois la continuité à l’œuvre dans l’édition pour la jeunesse en France et la proximité avec les éditeurs américains, à travers quelques dates clés. "Les liens entre nous remontent à loin" : en 1943 avec la publication du Petit Prince de Saint-Exupéry d’abord aux États-Unis (chez Reynal & Hitchcock) ; en 1967 avec la traduction et publication par Robert Delpire du chef-d’œuvre de Maurice Sendak, Where the Wild Things Are ; ou encore avec le déménagement, dans les années 70, de Laurent de Brunhoff à New York, où il poursuit l’œuvre de son père, Babar, très appréciée aux USA.

 

"Des liens qui restent forts aujourd’hui."

 

Sophie Giraud a rappelé ce que les albums pour la jeunesse en France doivent à Gustave Doré et ses gravures des Contes de Perrault, aux mises en page innovantes de Maurice Boutet de Monvel et à la typographie Art nouveau. Toutefois, les changements majeurs apparaissent dans les années 30 et 40 avec, respectivement, Jean de Brunhoff, qui introduit une nouvelle mise en page où texte et illustration ne font plus qu’un, et Paul Foucher, du Père Castor, avec son idée d’éducation nouvelle où les enfants peuvent apprendre tout en s’amusant. L’apparition de la poésie, des illustrations en peinture, de la non-fiction, des livres-objets puis des pop-up représentent les dernières tendances d’un secteur qui ne cesse de s’enrichir et d’évoluer.

 

Selon Barbara Lalicki, anciennement directrice éditoriale chez HarperCollins et qui enseigne aujourd’hui au Pratt Manhattan Institute, ce sont les 50 premières années du XXe siècle qui sont considérées comme l’âge d’or du livre jeunesse, avec la création d’un catalogue pour enfants chez MacMillan en 1919. D’autres éditeurs suivront : Viking, Harper & Row, Harcourt Brace. Elle a rappelé l’importance des prix décernés aux États-Unis – Newberry Award ou Caldecott Medal –, qui apportent des ventes importantes dans tout le pays.

 

Avec l’arrivée des réfugiés européens dans les années 40 – dont certains possèdent un savoir-faire éditorial –, le secteur de l’édition jeunesse explose dans le pays. Plus tard, l’apparition des "Little Golden Books" en 1942, vendus à 25 cents, révolutionne le monde de l’édition jeunesse américaine. C’est aussi à cette période qu’est publiée la série très populaire du petit singe Curious George, suivie de celle du chat The Cat in the Hat du Dr Seuss. Dans les années 60, apparaît pour la première fois un personnage noir dans The Snowy Day et Stevie sera le premier livre publié par un auteur noir. Un autre ouvrage marquant, Where the Wild Things Are de Maurice Sendak, inspirera toute une nouvelle génération d’illustrateurs.

 

Cette époque marque le début des fusions majeures : Random House rachète Knopf. Barnes and Noble, Borders et Walden Books révolutionnent la diffusion. Dans les années  80, l’association des libraires pour la jeunesse (ABC) est créée. Le Children Book Council, en partenariat avec l’ABA, monte une exposition de livres jeunesse, lors de la convention de 1985.

 

 

Forte présence des livres américains traduits en littérature pour la jeunesse

 

La troisième table ronde était consacrée aux échanges internationaux dans les secteurs de la fiction et de la petite enfance. Hélène Wadowski et Céline Vial de Flammarion Jeunesse et Erin Clarke de Alfred A. Knopf Books for Young Readers ont tout d’abord discuté des tendances respectives de la littérature jeunesse.

Des deux côtés de l’Atlantique, l’aventure, l’humour et la fantasy rencontrent toujours le même succès auprès des jeunes lecteurs, toutes tranches d’âge confondues. La majorité des romans et séries à succès en France étant des traductions d’auteurs anglo-saxons, il n’est pas surprenant que nous nous partagions les mêmes best-sellers : Diary of a Wimpy Kid (Journal d’un dégonflé, publié au Seuil Jeunesse) ; The Isle of the Lost (L’île de l’oubli, Hachette Jeunesse) ; Looking for Alaska (Qui es-tu Alaska ?, Gallimard Jeunesse) ; Magic Tree House (La cabane magique, Bayard)… Erin Clarke a, elle, évoqué quelques obstacles à la traduction de romans jeunesse français vers les États-Unis : le manque de lecteurs francophones dans les maisons d’édition ou, encore, la difficulté pour un éditeur américain de faire venir des auteurs français pouvant faire la promotion de leurs ouvrages – notamment dans les écoles (pour des questions de coût ou de pratique de la langue).

 

L’expérience singulière de Twirl, association entre le Groupe Bayard à Paris, Chronicle Books à San Francisco et Handprint à New York, a ensuite été présentée par Emmanuelle Marie, directrice des droits étrangers du groupe Bayard, et Christopher Franceschelli, directeur de Handprint (imprint de Chronicle).

En 2014, Bayard s’est associé avec Chronicle Books et Handprint pour lancer la filiale américaine du groupe Bayard : Twirl. Le nom Twirl (tournoiement), dérivatif de tourbillon, a permis l’usage du même logo des deux côtés de l’Atlantique. Les titres Tourbillon (pour commencer, des titres Milan et Bayard pourraient suivre) sont traduits, adaptés et publiés sur le marché américain. Les trois maisons choisissent de concert les titres à traduire. C’est Bayard qui assure la partie création et la coordination des projets éditoriaux, Chronicle gère les aspects marketing, promotion et ventes de Twirl dans le monde et Handprint aide – entre autres – à l’édition et à "l’américanisation" des titres français. Christopher Franceschelli a en effet rappelé les défis de l’adaptation d’ouvrages vers son pays : obstacles en matière de législation et de différences culturelles notamment (par exemple, les références à la nudité, l’alcool et les drogues ne sont pas acceptées dans les livres jeunesse aux États-Unis).

 

Les premiers résultats ont dépassé, de beaucoup (+40%), les prévisions de "l’association" : succès immédiat, à noter que 30% des ventes se font à l’export, notamment au Canada et en Asie ; plus de 130 000 exemplaires vendus pour la dernière collection.

 

Et de conclure, à la question "Would you do it again ?" : "Mais oui ! Certainement !"

 

La journée du jeudi 9 juin s’est achevée avec la venue du ministre français des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, présent à l’occasion de ces journées professionnelles pour rendre hommage à Françoise Mouly, directrice de la maison d’édition Toon Books, personnalité emblématique de la relation franco-américaine en matière culturelle, qui a été faite chevalier de la Légion d’honneur il y a quelques années.

Lors de son discours, il a salué la politique culturelle de l’ambassade de France aux États-Unis et les actions du BIEF et de la French Publishers’ Agency.


Lucinda Karter, Gretchen Schmid et Alice Tassel, French Publishers' Agency

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