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Compte rendu

Séminaire des libraires francophones à Bruxelles : trait d’union entre les libraires francophones d’Europe

juillet 2015

[4-5 mai 2015]

Après Berlin et Madrid, vingt libraires venant cette fois-ci de toute l’Europe, du Nord comme du Sud, se sont retrouvés à Bruxelles pour un séminaire de deux jours, organisé par le BIEF, avec le soutien du Centre national du livre et en partenariat avec l’Association internationale des libraires francophones.


Des voix et des initiatives concordantes

Après Berlin en 2013 et Madrid en 2014, vingt libraires venant cette fois-ci de toute l’Europe, du Nord comme du Sud, se sont retrouvés à Bruxelles pour un séminaire de deux jours, les 4 et 5 mai derniers. Organisées par le BIEF, avec le soutien du Centre national du livre et en partenariat avec l’Association internationale des libraires francophones, ces rencontres professionnelles se sont déroulées au sein de la Maison des auteurs, établissement situé au cœur de la capitale belge et qui offre aux auteurs, aux sociétés de gestion de droits et aux associations professionnelles un lieu de rendez-vous, de discussion ou de réunion.

 

À Berlin et Madrid, les débats avaient principalement porté sur les questions de clientèles du livre français en Europe et sur les difficultés rencontrées pour faire vivre un espace dédié au livre français. Entre la spéculation immobilière observée dans la plupart des villes européennes, l’incidence de la crise économique, en particulier dans les pays du Sud, la concurrence du commerce en ligne ou encore la difficulté à capter les marchés institutionnels, les témoignages des libraires ont dessiné au fil des réunions un paysage de la librairie de plus en plus incertain. Ils ont pu décrire une bataille de tous les instants, pour avoir les livres dans les délais ou obtenir la bonne information à destination de leurs clients. Selon eux, la question du prix du livre, majoré du fait des coûts d’importation, demeure le principal frein à la fréquentation d’une librairie française, quand bien même celle-ci est perçue comme une vitrine culturelle de la France… et un lieu indispensable pour bien des expatriés.

 

Pour attirer des clients et les fidéliser, les libraires partout en Europe ont multiplié les initiatives, à l’image de Flora Dubosc, de la librairie Latitudes à Budapest, qui s’est associée à ses confrères hongrois pour organiser chaque année, au mois d’avril, une nuit des librairies indépendantes ; ou encore de Montse Porta, à Barcelone, qui – pour relever le défi du déménagement de la librairie familiale Jaimes, des prestigieuses Ramblas vers un local situé dans une rue adjacente, moins fréquentée – organise des animations au rythme parfois d’une par jour ! D’autres libraires réaménagent leur espace (Colibri à Sofia), s’agrandissent (La Page à Londres, en gagnant d’ailleurs sur un magasin de sushis !) ou s’apprêtent à quitter l’Institut français, comme c’est le cas de la Nouvelle librairie française à Lisbonne, après l’annonce de décision de fermeture.

 

 

Discussion sur le fonds

Mais pour s’éloigner de ces problématiques de la librairie francophone à l’étranger, c’est la question du fonds en librairie et de ses mutations que ce séminaire de Bruxelles a voulu aborder. En privilégiant les témoignages d’éditeurs, d’un critique littéraire et bien entendu des libraires eux-mêmes. Mais aussi à travers la présentation d’un "projet fédérateur", celui d’un catalogue de titres européens choisis par les libraires francophones, "l’Europe en livres".

 

Pour illustrer l’importance du fonds en librairie, que les libraires eux-mêmes désignent comme le "cœur de leur métier", trois domaines éditoriaux avaient été choisis : les sciences humaines, la littérature et la bande dessinée. Sophie Berlin, directrice éditoriale en sciences humaines chez Flammarion, a démontré comment les éditeurs français avaient orienté ces dernières années leur production pour tenir compte de l’évolution d’un lectorat, "à la fois plus large… mais de moins en moins disponible pour les œuvres exigeantes". Une tendance que Sami El Hage, responsable du rayon sciences humaines de la librairie Tropismes de Bruxelles, a pu confirmer, en constatant la difficulté pour lui de défendre un fonds, pourtant parmi les plus riches que l’on puisse trouver dans une librairie.

 

Antoine Fron, de la librairie l’Arbre à Lettres Mouffetard à Paris, a rendu compte des mutations du fonds en littérature. Libraire depuis les années 80, il se souvient, qu’à ses débuts, les commandes d’ouvrages de fonds étaient largement en compte ferme, que les livres de poche étaient moins nombreux et que le fonds pour un libraire était à la fois "un signe d’engagement et une marque de distinction". Depuis, il constate que devant l’augmentation de la production, l’engorgement des rayons, les éditeurs et leurs distributeurs ont eu tendance à accorder une faculté de retour sur l’intégralité du catalogue. "Suivant ces critères, la notion de fonds a donc profondément changé, du moins pour les libraires de premier niveau qui peuvent commander à peu près tous les livres qu’ils veulent et les retourner quand ils le souhaitent."

 

De son côté, Norbert Czarny, critique littéraire, s’est livré à un exercice "assez commun… et pourtant impossible", de son propre aveu, en tentant de répondre à la question : quels livres français contemporains pourraient constituer un fonds pour les libraires en Europe ? Sa proposition, nécessairement subjective, a été là encore le prétexte à un intense débat avec les libraires présents.

 

Sans doute, les libraires réunis à l’occasion de cette rencontre sont-ils tout d’abord des lecteurs, notamment en littérature, domaine dont ils se sentent plus familiers et qui constitue le rayon phare de leur librairie… ce qui est loin d’être le cas de la bande dessinée. Troisième domaine passé en revue au cours de ce séminaire, la bande dessinée a fait l’objet d’une séquence particulièrement appréciée par les participants. Pour en parler, Philippe Goffe (librairie Graffiti à Waterloo), et donc hôte de cette rencontre, avait fait appel à deux professionnels belges aussi, parfaits connaisseurs de la bande dessinée dans un des pays qui l’a vue naître : Frédéric Ronsse, directeur de la librairie Brüsel, entièrement consacrée à la BD et ouverte il y a une vingtaine d’années avec Reynold Leclerc, qui a rejoint depuis les éditions Casterman. Tous deux ont délivré un message énergique auprès des libraires francophones d’Europe pour les inciter à développer et surtout "désenclaver le rayon BD, aujourd’hui encore trop souvent relégué au fond du magasin". Et d’inviter ainsi les libraires à exploiter toutes les richesses qu’offre à présent la BD dans tous les domaines : en littérature, en histoire, en politique, mais aussi en complément d’apprentissage d’une langue.

 

Pour autant, la question du fonds en librairie est indissociable de celle du poids financier qu’il représente pour la plupart des libraires. Pour leur permettre de diversifier leur fonds tout en minimisant l’incidence financière, Philippe Bouchon, en charge des aides du CNL pour les libraires francophones, a rappelé les dispositifs existants, tout en reconnaissant que ceux-ci pouvaient aussi à l’avenir être simplifiés ou assouplis. En parallèle, des représentantes de la fédération Wallonie-Bruxelles sont venues témoigner des aides proposées en Belgique en direction des acteurs du livre à l’international, en particulier les libraires francophones.

 

Enfin, fil rouge de ces rencontres, L’Europe du livre. La dimension européenne de ce réseau de libraires francophones se devait en effet de trouver une forme, au-delà du cycle des séminaires. C’est tout le sens du projet de catalogue, L’Europe en livres, qui réunit une sélection d’auteurs européens choisis par les libraires francophones. Un projet qui se veut à la fois un outil de dialogue entre les libraires francophones d’Europe et comme le trait d’union entre ces différents visages de la librairie francophone, de Lisbonne à Chişinău et de Stockholm à Athènes.

 

 

Catalogue L’Europe en livres : des auteurs européens choisis par des libraires francophones

 

Au total, ce sont 30 libraires francophones d’Europe qui ont participé aux trois rencontres professionnelles organisées depuis 2013 par le BIEF (Bureau international de l’édition française) en partenariat avec le CNL (Centre national du livre) et en liaison avec l’AILF (Association internationale des libraires francophones). Lors de ces rencontres, ils ont exposé les difficultés auxquelles ils sont confrontés, mais ils ont exprimé aussi la richesse de ce réseau de libraires francophones en Europe, leur donnant envie de se fédérer dans un projet fortement symbolique, mettant au cœur le livre… et l’Europe.

 

Le catalogue L’Europe en livres était né.

Chaque libraire s’est ainsi vu confier le soin de dresser une liste d’une vingtaine de titres d’auteurs, représentatifs du pays dans lequel la librairie est implantée, et évoquant l’Europe. De cette base de données, appelée à évoluer, ont été extraits et choisis par chacun des libraires les quatre titres les plus emblématiques. Ce sont ceux qui figurent dans ce catalogue, accompagnés de notices rédigées par chacun d’entre eux. Seuls les ouvrages de littérature, bande dessinée) et les essais, disponibles dans une édition française, ont été retenus.

 

Ce catalogue est aussi l’occasion de présenter les différentes librairies ayant pris part à ce projet et qui, chacune à sa manière, témoigne de cette diversité culturelle francophone et européenne. Avec l’aide du CNL ou d’autres partenaires, ce catalogue pourrait faire l’objet d’une diffusion au-delà du seul réseau des libraires francophones européens, par exemple auprès de certains libraires en France ou du réseau des médiathèques et des instituts français en Europe. Une manière de rendre plus visible encore le rôle indispensable et la richesse de ce réseau de librairies francophones en Europe.


Pierre Myszkowski

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