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L'hommage rendu à Charlie Hebdo et ses victimes au Syndical national de l'édition

janvier 2015

Jeudi 8 janvier, Vincent Montagne, président du Syndicat national de l’édition, a rendu un hommage aux victimes de l’attentat perpétré dans les locaux de Charlie Hebdo la veille. Cet hommage a été fait au nom du SNE, du BIEF et du Cercle de la Librairie à l’occasion des vœux de ces trois organisations professionnelles, devant de nombreux éditeurs et personnalités du monde du livre.


Afin de respecter cette journée de deuil national, un hommage a été rendu jeudi 8 janvier au SNE. Vincent Montagne est intervenu au nom du SNE, du BIEF et du Cercle de la Librairie. À cette occasion de nombreux éditeurs et personnalités du monde du livre se sont rassemblés pour une photo collective.

 

 

L'intervention de Vincent Montagne :

 

Chers amis,

Nous sommes sous le choc des attentats qui ont frappé hier de manière atroce notre confrère Charlie Hebdo. Fallait-il maintenir les vœux ou pas ? Comment ne pas céder à l’intimidation ? Avec nos amis Véra Michalski et Denis Mollat, et les éditeurs du Bureau du SNE, nous avons décidé, à la place de la traditionnelle cérémonie des vœux, de manifester ensemble, en cette heure grave, étreints par l’émotion, notre soutien aux victimes et aux valeurs qui sont les nôtres.
Le monde de l’édition est endeuillé.
Parce que, parmi les victimes se trouvent des auteurs de nos maisons, des amis proches, des esprits libres et courageux.
Et parce que ce sont nos valeurs fondamentales qui sont visées, la liberté d’expression, la liberté de publier, fondements de nos métiers, fondements de la démocratie.

 

Je voudrais évoquer tout d’abord la mémoire des victimes.

 

Cabu
"Parfois le rire s’étrangle, mais c’est notre seule arme, l’humour", confiait il y a peu le dessinateur Jean Cabut, assassiné hier au siège de Charlie Hebdo, dont il était le directeur artistique. Né en 1938 à Châlons-en-Champagne, il fait ses débuts dans Hara-Kiri, où il rencontre les dessinateurs Fred, Gébé et Wolinski. Il collabore à Pilote dans les années soixante, où il crée ses fameux personnages du Grand Duduche et du Beauf. En 2006, ses caricatures de Mahomet ont valu à l’équipe de Charlie Hebdo des menaces de morts. Sous forme d’albums, ses dessins sont publiés par plusieurs éditeurs, dont Vents d’ouest (Glénat), Le Cherche Midi, Michel Lafon, Les Arènes, Flammarion, Seuil, Actes Sud, les Éditions de l’Aube, L’Archipel, Les Échappés ou Nocturne.

 

Charb
Stéphane Charbonnier, dit Charb, né en 1967 à Conflans-Sainte-Honorine, s’est formé seul. Il publie ses premiers dessins dans le journal du collège à Pontoise. Tout en étant surveillant dans un collège d’Argenteuil, il continue de dessiner et de placer ses illustrations satiriques dans diverses revues. En 1991, Charb rejoint Cabu à La Grosse Bertha, avant de participer avec lui en 1992 à la refondation de Charlie Hebdo. Charb était le directeur de publication de Charlie Hebdo. Il bénéficiait d’une protection policière depuis l’incendie criminel du journal en 2011, suite à l’affaire des caricatures de Mahomet. Il venait de signer dans le dernier numéro de Charlie Hebdo un dessin tristement prémonitoire.

 

Georges Wolinski
Né à Tunis en 1934, Wolinski publie ses premiers dessins chez Rustica en 1958, puis rejoint de Hara-Kiri, ancêtre de Charlie Hebdo, au début des années 60. Rédacteur en chef de Charlie Hebdo de 1970 à 1981, il n’aura de cesse de défendre en toutes circonstances la liberté d’expression de la presse. Wolinski Il a signé une centaine d’albums. La majorité de son œuvre est parue chez Albin Michel, Drugstore (groupe Glénat) et au Seuil, qui a publié le 25 septembre 2014 le dernier roman graphique du dessinateur, Le village des femmes. Georges Wolinski a été récompensé par le Prix international de l’humour Gat-Perich et par le Grand prix de la ville d’Angoulême. En 2012, la Bibliothèque nationale de France lui a consacré une vaste exposition, "Wolinski : 50 ans de dessins".

 

Tignous
Né en 1957 à Paris, Bernard Verlhac, dit Tignous, collaborait depuis de nombreuses années à Charlie Hebdo. Ses premiers dessins de presse étaient parus dans L’Idiot international, La Grosse Bertha et L’Evénement du jeudi. En 2008, il avait gravi les marches du Festival de Cannes en compagnie de ses trois compères Wolinski, Cabu et Cavanna pour le documentaire de Daniel Leconte sur les menaces de mort qui visaient la rédaction de Charlie Hebdo : C’est dur d’être aimé par des cons. Il a publié des albums chez Denoël, 12bis et Glénat. Un de ses derniers dessins montre un combattant de l’EI avec la tête d’un otage dans la main.

 

Honoré
Philippe Honoré, né en 1941 à Vichy, a collaboré à de nombreux titres de presse, et illustré divers ouvrages pratiques ou littéraires. Honoré est aussi l’auteur d’une demi-douzaine de livres dont, au cours des années 2000, plusieurs recueils de rébus littéraires réalisés publiés chez Arléa, et une bande dessinée, Ouvert le jour et la nuit, avec des textes de Rufus, publié chez Glénat. Les Echappés, la maison d’édition de Charlie Hebdo, a publié son dernier livre, Je hais les petites phrases.

 

Bernard Maris
Né en 1946 à Toulouse, Bernard Maris était professeur d’économie à l’université Paris-8. Il a écrit de nombreux essais, au Seuil, chez Bréal, chez Albin Michel, entre autres. En septembre 2014, il publiait Houellebecq économiste chez Flammarion. Pour les lecteurs de Charlie Hebdo, il était l’Oncle Bernard. Directeur adjoint de la rédaction de Charlie Hebdo jusqu’en 2008, il a écrit pour différents journaux tels que Marianne, Le Figaro ou Le Monde. Il était aussi chroniqueur sur France Inter, où il animait notamment l’émission "Le débat économique". En avril 2015, Grasset doit publier Et si on aimait la France ?, un essai dans lequel Bernard Maris estime que les Français, qu’ils soient bobos, enfants d’immigrés, patriotes ou banlieusards, sont unis par leur pays.

 

N’oublions pas les autres victimes :

Elsa Cayat, psychanalyste, chroniqueuse à Charlie Hebdo

Franck Brinsolaro, 48 ans, brigadier chargé de la protection de Charb.

Ahmed Merabet, 42 ans, policier

Frédéric Boisseau, 42 ans, agent de maintenance, première victime de l’attentat.

Michel Renaud, en visite à Charlie Hebdo pour remettre à Cabu des planches de dessin qu’il avait prêtées pour la biennale du Rendez-vous du carnet de voyage de Clermont-Ferrand.

Mustapha Ourrad, correcteur, la soixantaine, cet orphelin né en Algérie était arrivé en France à vingt ans.

 

Je vous invite à une minute de silence en leur mémoire.

Nos pensées vont également à la douzaine de personnes blessées dans cet attentat, dont le journaliste et écrivain Philippe Lançon, journaliste à Libération, chroniqueur et critique littéraire, passionné de littérature latino-américaine, auteur de livres remarqués chez Jean-Claude Lattès et dans la collection la Blanche chez Gallimard, entre autres.

 

Chers amis,

Nous souhaitons exprimer notre émotion, notre solidarité et notre détermination sans faille à ne pas nous laisser intimider.

Nous sommes tous Charlie Hebdo.

Nous sommes tous des auteurs frappés de fatwa, tels Kamel Daoud, Alaa el Aswany ou bien encore Salman Rushdie.
Le fanatisme et la barbarie ne passeront pas.

 

Nous sommes touchés par les messages de soutien de nos confrères étrangers, le président de l’Union internationale des éditeurs, Richard Charkin, patron de Bloomsbury,  qui "appelle tous les éditeurs, auteurs et dessinateurs à rester unis pour défendre les valeurs fondamentales de la liberté d’expression, de la liberté de publier et du droit à critiquer et à polémiquer", le président de l’association des éditeurs arabes, Assem Shalaby, qui condamne "l’attaque vicieuse qui contrevient aux principes de l’islam", ou encore Ibrahim El Moallem, principal éditeur égyptien, qui a qualifié l’attentat d’ "attaque contre la civilisation".

 

Dans l’histoire, nous le savons, le livre, vecteur de la pensée, de la liberté, de la différence et de l’altérité, est toujours un des premiers symboles à abattre pour les barbares et les terroristes.
Partout dans le monde, il arrive hélas que des auteurs, des éditeurs, des libraires soient menacés, emprisonnés, assassinés. Parce que le livre porte la parole libre, une parole construite, redoutable et redoutée, parce qu’elle est le fruit d’une pensée structurée.
Face au drame révoltant de ces assassinats, nous voulons exprimer aujourd’hui notre solidarité, notre unité, notre détermination à ne pas nous laisser intimider.

 

Nous avons toujours besoin, pour comprendre le monde et pour vivre ensemble, de culture, de littérature, de dessins. Qui peut prétendre le contraire ?
La diversité des cultures est l’âme de l’Europe, son identité, son ADN. L’Europe est bien plus qu’un "grand marché" de cinq cent millions de consommateurs : l’Europe est une terre de créateurs, d’inventeurs et d’entrepreneurs. Le terrible drame qui nous réunit justifie plus que jamais de donner aux créateurs les moyens de défendre notre culture dans toute sa diversité. Oui, le droit d’auteur est un droit de l’homme.
À travers l’attentat contre Charlie Hebdo, la France est aujourd’hui blessée, profondément. Mais notre monde de l’édition l’est de façon toute particulière – et à plusieurs titres. Car cet attentat terroriste visait expressément des membres de notre profession, des journalistes, des auteurs, pour les empêcher d’exercer leur métier. Notre émotion est d’autant plus forte que les victimes de cette barbarie ne sont pas seulement des personnalités très connues du public mais, pour un certain nombre ici, des amis.

 

Mais notre blessure n’est pas seulement celle du cœur. C’est celle de l’esprit. Le monde de l’édition française, forgé par notre civilisation de liberté, est un monde qui croit aux forces de l’esprit. Ces forces peuvent se manifester de diverses manières, susciter des controverses, engendrer des oppositions. Mais elles ont pour point commun de reposer sur la liberté de conscience qui est le trésor de chacun. La France de l’esprit reconnaît en elle la coexistence des "fils de Voltaire" et des "fils de Pascal". Elle sait surtout que les uns comme les autres sont attachés au caractère irrépressible de la liberté intérieure et de sa traduction nécessaire : la liberté d’expression.

 

Il n’y a pas de fraternité possible sans reconnaissance et acceptation de l’autre comme à la fois différent de soi et humainement semblable, à respecter dans son être propre en toutes circonstances. Nous qui réfléchissons, nous qui écrivons, nous qui publions, nous avons aujourd’hui, plus que jamais, le devoir d’affirmer sans faille notre volonté de lutter, par toutes les forces de l’esprit, contre la subversion de notre civilisation libre et fraternelle.

 

La barbarie n’aura pas le dernier mot. Comme l’a écrit magnifiquement Edmond Rostand dans Chantecler, "c’est la nuit qu’il est beau de croire à la lumière".

 

Je vous remercie.



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