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Portrait et entretien de professionnel

Entretien avec Juan Arzoz, Président de la Caniem, Chambre nationale de l'industrie éditoriale mexicaine

mars 2009

« Au Mexique, le livre et la littérature connaissent une période riche en enjeux et en défi. »
BIEF : Comment expliquez-vous le dynamisme actuel de l’édition mexicaine ? Dans quelles directions se développe-t-elle principalement ?
Juan Arzoz : Le dynamisme actuel de l’édition mexicaine est le fruit d’une demande croissante de la part de la population, qui montre un intérêt accru pour la lecture. C’est également le résultat de tous les programmes et actions existants d’incitation à la lecture (programme des bibliothèques scolaires), mis en place dans toutes les classes de primaire. Par ailleurs, la création de maisons d’édition indépendantes qui s’appuient sur des auteurs et une ligne éditoriale de grande qualité a également appuyé cette démarche.
Par conséquent, le principal secteur qui se développe est la littérature jeunesse. Toutefois, la fiction et la non-fiction ont créé la surprise avec des publications de grande qualité. Nous espérons que la loi pour le développement de la lecture et du livre, qui vient d’être votée, permettra l’accroissement du nombre de librairies dans le pays, afin de soutenir la croissance dans ce domaine.

BIEF : Quelles sont les grandes tendances de la production éditoriale mexicaine à l’heure actuelle ?
J. A. : Au Mexique, le livre de fiction destiné à un jeune public connaît un essor important. En effet, le nombre de lecteurs croît d’année en année dans ce secteur, d’où une adaptation de l’offre éditoriale.
Autre secteur porteur ces deux prochaines années : les livres d’histoire nationale. En effet, nous célébrerons l’année prochaine le bicentenaire de l’indépendance du Mexique et le centenaire de la révolution mexicaine. C’est le secteur privé et le gouvernement fédéral, à l’origine de cette initiative, qui se chargeront de la production éditoriale.
Le secteur de l’éducation est également en vogue. Celui-ci est axé sur l’amélioration du niveau de nos étudiants.

BIEF : Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les éditeurs mexicains ? Comment y remédier ?
J. A. : Tout d’abord la réduction drastique du nombre de librairies au Mexique ces dernières décennies (30% selon les chiffres de l’Unesco). Il existe 1 062 points de vente. Parmi eux, seuls 689 sont des librairies traditionnelles, 169 des librairies détenues par des maisons d’édition, 49 sont des librairies-papeteries, 80 des librairies universitaires et 75 sont des cafés-librairies, des commerces ouverts 24h/24 ou appartiennent à des chaînes.
Il est important de noter que sur l’ensemble des librairies mexicaines, 39% sont implantées dans la capitale et 94% des communes ne possèdent pas de librairie.
Au Mexique, il y a une librairie pour 71 000 habitants ; en Espagne une pour 10 000 et une pour 19 000 en Argentine.
La loi pour le développement de la lecture et du livre, publiée le 24 juillet 2008, vise à renforcer l’industrie éditoriale et les librairies grâce à des programmes globaux.
Par ailleurs, le taux de lecture reste bas au Mexique. Selon un sondage national publié en 2006 par le Conseil national pour la Culture et les arts, la moyenne de livres lus est de 2,9 par habitant et par an.
Le second sondage national aura lieu en 2010, afin de connaître l’évolution des niveaux de lecture au sein de la population.
Le Programme pour le développement de la lecture et du livre de novembre 2008, mis en place par le ministère de l’Éducation Publique, vise à développer différentes activités destinées à promouvoir la lecture :
- la prise de conscience de la part de la société de l’importance de la lecture ;
- la formation et le soutien du corps professoral pour qu’il incite les élèves à lire ;
- le renforcement de l’industrie éditoriale et de la librairie ;
- l’amélioration et la modernisation des bibliothèques publiques ;
- l’appel à participation de différents secteurs de la société pour faire du Mexique un vrai pays de lecteurs.
Autre difficulté, les frais de distribution représentent un coût élevé pour les éditeurs, au vu de l’immensité du territoire mexicain. Il existe actuellement un accord de distribution signé par l’Association des libraires, la Chambre nationale de l’industrie éditoriale mexicaine et une entreprise de transport (Multipak) qui permet une économie de 60% par rapport aux tarifs pratiqués jusqu’ici.
Enfin, selon les chiffres du Centre de protection et de promotion des droits d’auteur mexicain (CeMPro), le piratage suppose une perte de 20% pour l’industrie éditoriale.
Le Mexique ne dispose pas de moyens suffisants pour combattre efficacement le piratage. Cependant, le CeMPro a mis en place des actions pour lutter contre cette pratique illicite, grâce à des opérations menées avec les autorités fédérales. Celles-ci ont permis des saisies de livres pirates et de matériel d’impression ainsi que l’arrestation et l’emprisonnement de fraudeurs.
Grâce à ces actions, 300 tonnes ont été saisies en l’espace de 17 mois, ce qui équivaut à plus d’1,3 million d’exemplaires pirates.

BIEF : Qu’attendez-vous de la loi sur le prix unique ?
J. A. : Il est important de noter que le prix unique du livre est une disposition de la loi pour le développement du livre et de la lecture publiée dans le Journal officiel de la Fédération du 24 juillet 2008 (articles 22 à 27). Le texte de loi est consultable en ligne à l’adresse suivante : www.leydellibro.org.mx.
Nous ne pouvons pas encore observer les effets du prix unique du livre. Cependant, l’expérience montre que, dans les pays dans lesquels le prix du livre fait l’objet d’une loi, l’industrie éditoriale a pu mieux se développer, car elle jouit d’une bonne santé et est capable de prendre en compte les intérêts de tous les lecteurs. En Espagne, en Allemagne et en France, pour ne citer que ces pays, le prix unique du livre a un impact sur la baisse de l’indice des prix pour le consommateur.
Par ailleurs, le prix unique est censé offrir un accès équitable au livre quel que soit son lieu d’achat. Cela doit aider à la création de librairies concurrentes, non plus au niveau des remises, mais sur la qualité de leur service et de leur offre.

BIEF : Ces dernières années, les éditeurs mexicains s’intéressent-ils plus à la production éditoriale étrangère ?
J. A. : En 2007, les éditeurs mexicains ont importé plus de 19 millions d’exemplaires, pour un montant de 69,6 millions de dollars, ce qui représente une baisse de 15,2% par rapport à 2006. Toutefois, le montant des transactions a augmenté de 7,6%.
Quant à la production mexicaine en langues étrangères, en 2007, les éditeurs mexicains ont publié des livres en cinq langues (anglais, portugais, français, allemand et italien). L’anglais est la langue qui compte le plus grand nombre de titres et d’exemplaires produits. On relève le même phénomène en 2006. Toutefois, le nombre de titres et d’exemplaires a respectivement baissé de 46% et de 16,6% entre 2006 et 2007.

BIEF : Quels sont les moyens de coopération existants entre éditeurs français et mexicains ? Comment renforcer ces liens ?
J. A. : Il existe un Programme de traduction d’œuvres mexicaines en langues étrangères du nom de Protrad. Ce système a été conçu pour promouvoir la littérature mexicaine à l’étranger. Pour la première fois, à l’occasion du Salon du livre de Paris, 24 œuvres mexicaines ont fait l’objet d’une traduction en langue française.
Au-delà de Protrad, il est nécessaire de développer des outils destinés à renforcer d’autres liens avec la France dans le milieu éditorial qui passent par le conseil et le soutien économique, afin d’ouvrir de nouvelles librairies et la formation professionnelle pour les libraires déjà en activité et leurs employés.

BIEF : Qu’attendez-vous de la présence mexicaine au Salon du livre de Paris ?
J. A. : Au Mexique, le livre et la littérature connaissent une période riche en enjeux et en défis. Outre le contexte économique mondial particulièrement complexe, auquel nous sommes confrontés depuis quelques mois seulement, le livre a connu des décennies très difficiles dans notre pays. C’est dans ce contexte que le secteur éditorial a cherché à se consolider grâce à des discussions et des consensus qui tentent d’envisager de nouveaux débouchés pour la circulation du livre et la promotion de la lecture.
Pour l’industrie éditoriale mexicaine, être présente au Salon du livre de Paris comme invitée d’honneur constitue une chance pour établir des contacts, faire connaître sa production, donner la possibilité de créer des liens commerciaux et accroître la présence des auteurs mexicains en France.

Propos recueillis par Karen Politis - traduction Virginie Cazeaux

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