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La littérature jeunesse israélienne dans un monde incertain

avril 2008

Nurit Zarchi, auteure israélienne pour la jeunesse s'interroge sur le statut et le rôle de la littérature jeunesse dans son pays.
La littérature enfantine est un concept relativement récent, dont l’invention coïncide avec celle de l’enfance. Pendant des siècles, les histoires que les enfants entendaient étaient des épopées héroïques, racontées au coin du feu, qui n’étaient pas spécifiquement destinées à un jeune public. Aujourd’hui, on part du principe que l’expérience de vie d’un enfant diffère de celle d’un adulte, et qu’il serait malavisé, voire nocif, de l’exposer trop tôt à certaines réalités telles que la dangerosité du monde, la méchanceté humaine, l’injustice ou l’insécurité.
 
Les livres jeunesse traitent pour la plupart de la vie des enfants eux-mêmes, et on serait tenté de dire que les héros se sont infantilisés. À la place d’Ulysse, de Gilgamesh, Samson et même David Copperfield, on dévore les aventures du poussin qui se cherche une nouvelle maman (héros de Levin Kipnis, auteur israélien né en Ukraine), d’Émile et de ses amis détectives (d’Erich Kästner, auteur culte allemand en Israël) et d'Harry Potter. Cette littérature spécialement fabriquée pour les enfants ne passe-t-elle pas à côté d’une forme de vérité, d’information sur le monde et l’individu, d’importance vitale ?
 
Nous autres écrivains pour la jeunesse, dévoilons-nous à nos lecteurs le monde tel qu’en lui-même ? D’ailleurs, est-il judicieux de le faire ? Cette volonté de préserver les enfants ne les expose-t-elle pas à une forme de mensonge, si bien intentionnée soit-elle ? Et cela suffit-il vraiment à les protéger ?
Certes, l’enfance est une invention merveilleuse, mais n’aurions-nous pas mieux fait de créer un monde plus beau, qui lui correspondrait réellement ?
Que raconter aux enfants lorsque l’on est un auteur épris de vérité ? De l’exigence d’honnêteté découle une problématique : que dire du terrorisme international, du matérialisme à tout crin, des inégalités aggravées par le capitalisme, de l’oppression des peuples au nom de ces valeurs, de l’inquiétante prolifération des armes nucléaires autour de nous ? N’est-ce pas un fardeau trop lourd, trop désespérant pour de jeunes épaules ?
 
Ces questions caractérisent néanmoins le lot quotidien de l’État d’Israël. Comment expliquer le conflit israélo-arabe aux enfants, alors que chaque jour, de part et d’autre de la frontière, des adultes et des enfants en sont victimes ? Les enfants sont-ils à même d’appréhender les notions de frontière, d’État, de guerre ? D’un autre côté, ne serait-il pas irréaliste de leur dépeindre un monde sans frontières ou sans revendications nationales ?
 
La littérature jeunesse, comme tout projet destiné aux enfants, exige de la clarté et des certitudes… mais peut-on leur proposer des œuvres dont le message est un questionnement ? N’est-il pas souhaitable de susciter chez nos enfants le désir de poser des questions qui parfois n’ont pas de réponse définitive ?
 
La tradition juive cite quatre enfants archétypaux dans les textes rituels de la pâque. Parmi eux, l’enfant qui ne sait pas poser de questions, chez qui il faut provoquer le questionnement. N’est-ce pas ce à quoi nous autres, écrivains et artistes, devons aspirer ?
L’interrogation est le lien entre l’intériorité et l’extériorité, les épopées d’autrefois et l’individualisme du monde moderne dans lequel évolue l’enfant – un monde dont il jauge l’humanité, la justice, l’équité et les conditions d’une existence pleine de sens.
 
Sans verser dans le didactisme, l’écrivain d’aujourd’hui doit trouver le moyen de décrire le monde dans sa complexité et d’aborder les questions épineuses, tout en transmettant l’espoir que le genre humain, et en particulier les jeunes, saura faire de ce monde un monde meilleur.
 
 
Nurit Zarchi, portrait
Nurit Zarchi : auteur de plus d’une centaine de livres – romans, nouvelles, poésie, essais – et de plus de 80 titres pour la jeunesse, Nurit Zarchi a reçu de nombreuses récompenses : elle a été deux fois lauréate du prix du Premier ministre israélien pour la littérature et quatre fois du prix Andersen attribué par IBBY.
Elle est née à Jérusalem en 1941 d’une mère enseignante et d’un père écrivain et traducteur, des Européens polyglottes qui avaient immigré en Palestine sous mandat britannique dans les années 1930. Après avoir étudié la littérature et la philosophie à l’Université hébraïque de Jérusalem, elle a enseigné dans de nombreuses universités du pays, où elle est souvent invitée à participer à
des événements littéraires. Ses livres ont été traduits en 15 langues (Amérique, Europe, Asie).

Nurit Zarchi (traduit de l’hébreu par Deborah Kaufmann)

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