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La littérature israélienne contemporaine : quelques tendances

avril 2008

La littérature israélienne a parcouru un long chemin depuis la création de l’État hébreu en 1948... Moshe Sakal, romancier et critique pour le supplément littéraire du Haaretz , évoque les tendances de la littérature israélienne contemporaine, ses influences, son engagement...
La littérature israélienne a parcouru un long chemin depuis la création de l’État juif en 1948. Si elle s’est focalisée durant les premières décennies – du moins dans ses courants majoritaires – sur des thématiques locales et nationales, relatives à l’édification du pays,
à la lutte pour sa survie, les écrivains israéliens d’aujourd’hui ne craignent plus l’influence de la littérature émanant du monde extérieur, ce monde qui symbolisait pour les générations de pionniers la diaspora qu’ils pensaient avoir quittée définitivement.
 
Le dialogue avec les influences extérieures
Ces dernières années, pour ne citer qu’un exemple parmi d’autres, on assiste à un dialogue fructueux, direct ou détourné, entre les littératures israélienne et russe. À côté d’auteurs d’origine russe ayant émigré en Israël dans les années 1970 – comme Alex Epstein, Marina Grosslerner, Boris Zeidman ou la poétesse Sivan Beskin –, on trouve des écrivains natifs d’Israël sur l’œuvre desquels l’influence russe est indéniable. Citons à cet égard le traducteur Ronen Sonis, dont les parents sont nés en Russie, ou le dramaturge, écrivain et traducteur Roee Chen, né en 1980, dont la mère est d’origine marocaine et le père issu d’une lignée enracinée de longue date sur la terre d’Israël. Ce jeune homme est considéré comme l’un des meilleurs traducteurs du russe et, dans ses propres productions, l’incidence de la culture européenne est flagrante.
 
La jeune romancière Maya Arad, née elle aussi en Israël, a quant à elle rendu un hommage appuyé à Pouchkine dans son roman Un autre lieu, une ville étrangère, qui n’est autre qu’une adaptation d’Eugène Onéguine, fidèle par sa forme versifiée.
 
Dans un tout autre domaine, une influence s’exerce dans le genre de la fantasy, aujourd’hui en nette progression. Parmi les titres les plus emblématiques, Le Cœur enseveli de Shimon Adaf, Le Léviathan de Babylone de Hagar Yanaï, ou encore Les Filles du dragon de Marit Ben-Israël. Notons également Les Désirs de la terre de Sarah Blau, dont l’héroïne, issue de la communauté ultraorthodoxe, crée un golem.
 
Le centre et la périphérie
Est-on amené à observer, dans un petit pays comme Israël, une différence fondamentale entre les œuvres produites à Tel-Aviv et celles écrites à Jérusalem ? Ou encore entre la littérature urbaine et celle de la périphérie ? « Il s’agit d’une illusion d’optique, déclare Ronit Weiss-Berkowitz, éditrice chez Keter, une maison d’édition basée à Jérusalem. Par son statut, la ville de Jérusalem s’impose d’elle-même dans les œuvres de romanciers hiérosolomytains comme David Grossman, Amos Oz ou Tseruya Shalev. En revanche, Tel-Aviv, c’est davantage un état d’esprit qu’un lieu déterminé. Parfois, on dirait qu’il y a quelque chose dans l’horizon de Tel-Aviv qui rend superficielles les œuvres des jeunes auteurs israéliens. La langue truffée d’américanismes et la mer constituent autant de repères géographiques mais ne signifient rien ».
  
Le roman de Sara Shilo, intitulé Les Elfes ne viendront pas, a pourtant suscité un extraordinaire engouement, remporté plusieurs prix, dont le prix Sapir (la récompense la plus prestigieuse décernée en Israël à une œuvre littéraire), et a connu un véritable succès commercial. Il décrit la vie d’une famille résidant dans une petite ville au nord d’Israël qui vit sous la menace perpétuelle des roquettes tirées depuis l’autre côté de la frontière.
 
Où en est la littérature engagée ?
Qu’en est-il, par ailleurs, de la littérature engagée ? On dirait parfois que, pour correspondre au goût des éditeurs étrangers, les auteurs israéliens se sentent obligés d’aborder des sujets en rapport avec l’armée, la Shoah ou le kibboutz. Et ainsi, bon nombre de textes suivent l’actualité politique (les accords d’Oslo, le meurtre du Premier ministre Yitzhak Rabin, la guerre du Liban, etc.). Bien fréquemment, les événements servent simplement de décor interchangeable derrière les personnages. D’autres romans traitent de la situation intérieure du pays de manière plus frontale, mais sans chercher à donner de la réalité un éclairage plus nuancé ou inédit. « Il semble que la problématique patriotique soit redevenue centrale, dit Shai Tsur, chercheuse en littérature rattachée à l’Université hébraïque de Jérusalem, et que, la plupart du temps, les questions nationales sont abordées sous l’angle de la réconciliation et de l’apaisement ». Des romans tels que Si le paradis existe de Ron Leshem (qui traite d’une unité militaire postée au Sud-Liban, dans la forteresse de Beaufort, juste avant le retrait de Tsahal en 2000) ou les textes d’Eshkol Nevo soulèvent un grand enthousiasme auprès du public, alors que la critique est divisée à leur encontre.
 
L’édition israélienne laisse-t-elle la place à des sensibilités différentes ? Omri Herzog, critique littéraire au quotidien Haaretz, affirme que l’on a assisté dernièrement à l’éclosion d’une littérature émanant des minorités, dont les auteurs sont des Juifs orientaux, des Arabes, des femmes, des homosexuels, etc. : « Ces œuvres représentent une alternative à la littérature israélienne classique ». Sur le même sujet, Rana Werbin, éditrice chez Yediot Sfarim, explique que « les œuvres des minorités sont publiées, y compris par les grandes maisons d’édition, mais [que] leur succès demeure confidentiel. Il faut dire que la littérature homosexuelle ou la littérature arabe ne disposent pas d’un lectorat très large en Israël. Elles restent très marginales. La littérature russe peine encore à trouver son public, même si quelques auteurs connaissent un succès non négligeable ».
 
- Moshe Sakal, romancier (Le Juif errant, éditions Yédiot Sfarim) et critique littéraire au Haaretz
Traduit de l’hébreu par Deborah Kaufmann

Moshe Sakal

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