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Portrait et entretien de professionnel

Entretien avec Pierre-Guillaume de Roux sur les échanges franco-chinois

décembre 2006

Présent pour la première fois à la Foire internationale du livre de Pékin, le directeur éditorial des éditions du Rocher a ressenti un intérêt éditorial manifeste de la part des professionnels chinois.

BIEF : Quelles impressions avez-vous rapportées de votre séjour professionnel en Chine à l’occasion de la Foire du livre de Pékin ?

Pierre-Guillaume de Roux : Outre le choc culturel que l’on ressent fatalement lors d’un premier voyage dans ce pays, l’intérêt professionnel, éditorial, est manifeste. J’ai été frappé par l’accueil et l’immense curiosité de nos interlocuteurs. Il est incontestable que le marché chinois s’ouvre à l’édition étrangère. Sur ce marché, les Allemands et les Anglais sont plus en avance que nous. En 2005, la France avait été l’invitée d’honneur au Salon du livre de Pékin, ce qui avait permis de sensibiliser les experts chinois à notre production.

BIEF : Selon vous, qu’est-ce qui intéresse les éditeurs chinois dans la production française ?

P.-G. de R. : Ils cherchent des romans grand public, des documents et des ouvrages de sciences humaines. Aujourd’hui, les tirages pour une traduction d’un livre de Marguerite Duras varient entre 8 000 et 10 000 exemplaires. Des auteurs comme Alain Robbe-Grillet, Françoise Sagan, Roland Barthes sont facilement accessibles – la plupart de leurs livres sont traduits. Devant cet intérêt, j’ai d’ailleurs été surpris de ne voir, à ce salon, qu’un petit nombre de représentants de maisons françaises : Marc Parent pour Buchet-Chastel et moi-même pour la littérature générale, Michel Lafon, Michelin, ou des éditeurs de bandes dessinées pour d’autres domaines.

BIEF : Quelles sont les perspectives des éditions du Rocher quant aux échanges avec la Chine ?

P.-G. de R. : Le Rocher avait déjà publié le premier roman de Shan Sâ, Porte de la Paix céleste, ainsi qu’une somme de Bernard Brizay sur Le Sac du Palais d’été qui a été traduite en chinois en 2005. L’Histoire de la Chine de Danielle Elisseeff, parue dans la collection d’essais et biographies Le Présent de l’Histoire, est une excellente initiation à ce pays. Le livre d’Albert Londres La Chine en folie va être réédité dans la collection Motifs.
La volonté du Rocher aujourd’hui est d’ouvrir plus largement le département étranger à la littérature chinoise contemporaine. Ce qui signifie dans un premier temps des contacts locaux à tous les niveaux, des contacts forcément personnels fondés sur la confiance et la relation professionnelle. Quant aux grandes manœuvres de cessions ou d’export, elles s’amorcent dès maintenant. Même si cela prendra du temps. La Chine reste mystérieuse. Dans le sens des cessions d’ouvrages français à traduire vers le chinois, l’intérêt s’est porté vers des auteurs du catalogue comme Vladimir Fédorovski, Jean des Cars, Michèle Kahn, Philippe Delerm (tout particulièrement), Henri-Frédéric Blanc, Ariel Denis, Noëlle Loriot, Olivier Germain-Thomas, Christophe Mory et quelques autres.

BIEF : D’une façon plus générale, quelle place occupe la fiction chinoise dans la littérature étrangère en France ?

P.-G. de R. : Le travail capital de pionnier d’Etiemble chez Gallimard avec la collection Connaissance de l’Orient a fait date dans l’histoire de l’édition des quarante dernières années. Grâce à lui, la littérature chinoise est entrée dans la Pléiade avec de grands classiques comme Au bord de l’eau de Luo Guan Zhong ou Le Rêve dans le pavillon rouge de Cao Xueqin. Les traductions de Pierre Ryckmans (alias Simon Leys) ont été tout aussi capitales. Il ne faut pas non plus oublier le rôle essentiel de passeurs et d’initiateurs à la littérature chinoise que sont des écrivains français comme Frédérick Tristan qui s’est tant inspiré de la littérature de l’Empire du Milieu avec Le Singe égal du Ciel, La Cendre et la foudre, La Chevauchée du Vent. Ou Jean Levi qui s’est lui aussi directement inspiré de cette littérature. Pensons au Grand empereur et ses automates, ou au Rêve de Confucius ou à son essai sur La Chine romanesque (fictions d’Orient et d’Occident). Enfin, l’élection de François Cheng à l’Académie française a ouvert très officiellement le dialogue sino-français en termes littéraires. Il n’empêche que la fiction chinoise n’est hélas ! pas encore au premier rang de nos centres d’intérêt ; les éditeurs français étant pour l’instant beaucoup plus tournés vers la littérature anglo-saxonne et latino-américaine. C’est le moment ou jamais d’être très attentifs à ce qui s’y passe. Les ponts sont jetés. Il ne faut pas regarder le fleuve passer. On est médiatiquement matraqué par la Chine en général et par son développement économique spectaculaire. On ne doit pas se désintéresser de l’imaginaire qui en vient. Le succès retentissant de La Montagne de l’âme et du prix Nobel pour son auteur, Gao Xingjian, a montré un intérêt certain plus qu’une simple curiosité.

- Propos recueillis par Sophie Bertrand



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