Fin 2002, Philippe Bohelay, qui connaît bien la Russie et le Caucase,
et le photographe Olivier Daubard prennent à Moscou le train pour
les camps de réfugiés tchétchènes en Ingouchie.
De leur séjour, ils ont rapporté, l'un des clichés en noir et blanc,
l'autre une lettre prêtée à Ramzan, jeune kamikaze en puissance. «Il
est une voix, une image de synthèse. Les événements qu'il raconte se
sont réellement produits» : le pétrole qui pollue tout, les cadavres qui
hantent, l'armée russe qui terrorise, les tortures avant les disparitions,
parfois un geste de tendresse. «À travers Ramzan, nous avons approché
cette énergie qui portait ces jeunes à rejoindre la guérilla armée,
cette fascination pour la mort héroïque qui les gagnait peu à peu.» À
moins qu'il ne s'agisse de «ce Mal qui naît si souvent sur l'écume de la
bave de l'ange qui combat le dragon»...
Car Philippe Bohelay ne cède pas au manichéisme. Ni dans la lettre
de Ramzan ni dans son récit des voyages aller et retour, occasions de
rencontres, de rappels historiques et de pensées, sombres, sur le jeu
trouble des chefs tchétchènes et des oligarques, sur la Russie qui se suicide
en Tchétchénie. Restent les visages et les paysages gris et blancs
saisis dans ces camps qui se vident à présent de gré ou de force.