Le général Téréso détestait la duchesse Gorina, en qui il voyait s'incarner tout
l'orgueil, l'ignorance, la corruption et la vanité de l'ancienne noblesse du pays.
Invité par Gorina à une réception, il fit sa réponse habituelle : à son grand regret,
les affaires de l'État lui interdisaient de s'offrir des distractions dans le genre de
celle qu'on lui proposait.
La duchesse, impassible et hautaine, laissa tomber distraitement que ce refus
désolerait certainement la marquise Fausta Sanchez, qui espérait le rencontrer à
cette fête.
Téréso, qui depuis des mois poursuivait en vain Fausta, sentit, à ce nom, son coeur,
malgré son âge et son expérience, battre à coups juvéniles dans sa poitrine.
«J'ai compris», pensa Téréso, «le prix de Fausta, c'est d'abord ma participation
à la fête.»
Une marquise vénale et intéressée, un dictateur aussi candide en amour qu'un
jeune homme de vingt ans, un amoureux éconduit qui se déguise en valet pour
assister au bal, un chef de police qui met en scène un faux attentat... Un bal,
masqué de surcroît, qui devient une mascarade où les intrigues amoureuses se
mêlent aux complots politiques, où le cynisme le dispute à la cruauté, une sorte
de conte fantasmagorique dans un pays inventé.
Dans Le quadrille des masques, Moravia livre une satire du fascisme mussolinien
- qui lui valut les foudres de la censure - doublée d'une réflexion lucide sur les
régimes totalitaires et les idéologies.